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c’est Condorcet. Sur quoi nous ferons une ou deux réflexions préliminaires. Et d’abord la science qu’il plaît à M. Auguste Comte d’appeler sociologie est connue depuis long-temps sous le nom de philosophie de l’histoire, ni M. Comte, ni Saint-Simon, ni même Condorcet ne l’ont inventée : elle remonte à des personnages qui ont fait quelque figure dans le monde et qui s’appellent Bossuet, Vico, Lessing, Herder. En général, l’école positive ne brille pas par la nouveauté des idées. La seule découverte qui lui appartienne à un titre incontestable, c’est celle des deux mois suivans : sociologie, biologie. Ajoutez-y le mot positivisme, dont cette école a cru devoir se décorer, et vous aurez le compte net de ses inventions,.

Examinons pourtant la grande loi sociologique de M. Auguste Comte ; la voici en peu de mots :

L’homme est jeté dans ce vaste univers au milieu d’une variété prodigieuse de phénomènes qui sollicitent sa curiosité, excitent ses besoins, protègent et menacent ; tour à tour son existence. C’est un besoin de sa nature de se rendre compte de ces phénomènes, de faire effort pour en saisir l’enchaînement et l’unité. Le seul moyen pour cela, si l’on en croit les philosophes positifs, c’est l’expérience ; mais l’expérience est longue et difficile : elle demande des siècles, et l’homme vit peu de jours. Que fait-il ? Au lieu de s’adresser à l’expérience, il donne carrière à son, imagination. Il rattache les phénomènes de l’univers à des puissances cachées qu’il se plaît à idéaliser, à embellir de toutes les perfections. Voilà tout le secret et tout le fond des institutions religieuses.

Ces institutions appartiennent à la jeunesse des civilisations. Or, à mesure qu’une société se développe, plus son intelligence grandit, plus les faits observés s’accumulent, plus les sciences exactes s’organisent, et plus aussi les symboles religieux tendent à tomber en discrédit. Tôt ou tard la foi s’évanouit et fait place au règne de la philosophie. Quel est le rôle de cette puissance nouvelle ? D’abord de détruire la religion ce qui est, aux yeux de M. Comte, sa principale utilité,puis de substituer aux symboles primitifs des conceptions métaphysiques, des êtres abstraits : la cause, la substance, l’ame, l’unité, l’absolu. Les systèmes fleurissent quelque temps ; mais, comme l’esprit humain est au fond radicalement incapable de pénétrer au-delà, des phénomènes, dans la région des essences et des causes, les systèmes se contredisent, se heurtent, et finissent par tomber à leur tour dans le mépris du sens commun : C’est alors que les hommes, mûris par une double épreuve, commencent à reconnaître les limites de leurs facultés et les conditions d’une connaissance réelle et féconde de l’univers. Ils observent, ils calculent, et ne se confient plus qu’à l’expérience. C’est l’époque des sciences positives.