Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/682

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la société et du genre humain. À tous les mystères de ces deux univers joignez celui de leur correspondance et de leur harmonie, vous n’aurez encore que le monde contingent, le monde fini ; mais au-dessus, la pensée humaine conçoit l’infini, l’absolu, la région des possibles la sphère de l’idéal dont le centre mystérieux est l’être des êtres. Voilà le champ que se partagent les savans et les philosophes, espace immense qui n’a pu être embrassé que par quelques rares génies, Pythagore, Platon, Aristote, Descartes.

Or, voici le secret que la philosophie positive a découvert pour simplifier le problème, pour le mettre à la portée de tout le monde. Elle commence par déclarer que l’idéal, l’absolu, n’existe pas. Le genre humain il est vrai, adore Dieu, et la philosophie qui recueille cette sainte foi la consacre par le génie des Newton et des Leibnitz. N’importe, M. Comte s’inscrit en faux contre le genre humain et contre le génie. Il supprime Dieu par amour pour la simplicité ; dès-lors plus d’idées absolues dans la science : rien que des idées relatives ; plus de métaphysique, d’ontologie, de théodicée : il n’y a de science que celle de la nature. Première simplification.

La nature comprend deux ordres de choses : les êtres physiques ou la matière, les êtres moraux ou l’esprit. Supprimons l’esprit, ne conservons que la matière. Plus de phénomènes de conscience, plus de psychologie, plus d’idéologie ; rien que les sciences mathématiques et physiques. Seconde simplification.

Nous touchons à l’unité, mais nous n’y sommes pas tout-à-fait encore. Le monde physique, en effet, a deux élémens : l’un, saisi par les sens, les phénomènes ; l’autre, qui échappe aux sens, l’espace et le temps, la matière en soi, l’essence des corps, les causes des phénomènes. Supprimons encore tout cela ; il ne restera plus que des phénomènes visibles, palpables, et des lois qui ne sont que ces phénomènes généralisés.

Quelle admirable unité ! quelle homogénéité encore inconnue dans la matière des sciences, dans leur méthode, dans leurs résultats ! Le beau idéal de la simplification est atteint. Oui, cela est merveilleux, et qui pourrait se plaindre d’avoir acheté trop cher cette incomparable simplicité ? qu’en coûte-t-il en définitive ? rien que ces trois seules choses : Dieu, l’esprit et la liberté.

Quelles sont les conséquences de cette métaphysique ? Elles ont été mille fois déduites. Si Dieu et l’ame ne sont que des mots, des illusions, un seul objet est digne de nous intéresser : notre destinée terrestre. La vie présente, voilà le seul théâtre de notre activité, le seul idéal où puisse aspirer cette ardeur de progrès et de félicité qui est le fond de notre nature. Maintenant, si les lois de l’humanité sont comme celles du monde physique, c’en est fait de la liberté et de la responsabilité