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comme en tout le reste, M. Proudhon ne conclus pas. Il a une grande passion, la passion de la lutte. Il a un grand talent au service de cette passion, c’est le talent de la dialectique, non de cette dialectique féconde dont Socrate et Platon nous ont laissé les merveilleux modèles, qui discute pour convaincre et ne détruit que pour reconstruire, mais d’une dialectique négative et stérile, qui divise tout pour tout dissoudre et nie pour nier. L’ambition de ce capricieux génie, c’est d’être plus fort contre la religion que les plus forts athées et plus puissant contre l’athéisme que les plus puissans serviteurs de Dieu. Il est conservateur pour combattre les révolutionnaires et révolutionnaire pour combattre les conservateurs. Nul n’a porté à la propriété de plus rudes coups, moins rudes pourtant que ceux dont il a frappé les adversaires de la propriété ; tour à tour sceptique et croyant, pieux et impie, sensé et chimérique, esprit étrange, et, si j’ose le dire, scandaleux, très redoutable certainement, mais plus certainement stérile, être bizarre, fait de pure lumière et de nuit profonde, produit monstrueux d’une époque de raffinement et de dissolution, chose ténébreuse, équivoque et insaisissable, dont le vrai nom est chaos..

Dans ce naufrage des écoles socialistes, une seule fait effort pour surnager : c’est l’école positiviste. À l’heure qu’il est, la petite église de M. Auguste Comte est la seule, parmi les rejetons du saint-simonisme, qui n’ait pas été absorbée par la politique, la seule qui discute, qui écrive, qui essaie de s’organiser, la seule où il y ait un maître écouté et des disciples dociles et unis, la seule enfin qui rattache ses théories sociales, morales et politiques à une philosophie. C’est ce qui donne à cette école une véritable importance ; elle a eu le mérite de découvrir et la franchise d’accepter la formule vraie où la pensée intime de toutes les sectes socialistes vient se résumer. La doctrine de M. Auguste Comte est la philosophie du socialisme. De toutes ses prétentions, la plus légitime, c’est la clarté. Son but, c’est de simplifier toutes choses et son grand moyen, c’est l’élimination : procédé admirable et qui va transformer ce monde mystérieux, divers et compliqué, où jusqu’à ce jour se sont stérilement consumés, à ce qu’elle assure, tant de puissans génies, en un monde où tout sera clair, homogène ; harmonieux.

Si l’on considère, en effet, l’horizon de la science humaine, ce qui saisit tout d’abord, c’est son immense étendue et la prodigieuse complexité des objets qu’il embrasse. À ne considérer que le monde des sens, on voit se déployer dans l’immensité de l’étendue, l’échelle infinie des êtres matériels, depuis le minéral inerte et grossier jusqu’aux chefs-d’œuvre de l’organisation la plus accomplie. À côté de cet univers déjà si vaste et si varié, il en est un ame plus profond encore, le monde moral, où la liberté humaine déploie ses grandeurs et ses caprices et qui présente, à la science la triple énigme de l’individu,