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rapide succès échauffant toutes les têtes, les novateurs ne mirent plus de bornes à leurs désirs : ils aspirèrent ouvertement à changer les croyances, les mœurs, les institutions de la société et à mettre la main sur le pouvoir. L’excès de cette ambition fit tout avorter. La religion nouvelle ne put tenir contre les premiers sourires de l’ironie ; sa morale sembla suspecte à la conscience publique ; le gouvernement prit l’alarme, et, pour comble de disgrace, la désunion s’étant glissée parmi les apôtres, le faisceau du grand-collége se rompit, et la future église échoua misérablement dans le plus vulgaire des naufrages.

Le saint-simonisme parut anéanti, il était seulement éclipsé. En se dissolvant, il forma un certain nombre de sectes qui continuèrent de vivre, d’agir, de circuler par les mille canaux de la presse périodique, et de se répandre insensiblement par les livres sérieux, par les théâtres, par les romans, dans toutes les classes de la société, surtout parmi les classes laborieuses. Un des nombreux rejetons de la souche saint-simonienne fut l’école de M. Buchez, qui prétendit allier le catholicisme ultramontain avec l’esprit démagogique, Robespierre avec Saint-Paul, les canons des conciles avec les décrets de la convention. Ces étranges catholiques eurent leur tribune dans l’Européen, plus tard.dans l’Atelier, et de ces deux centres d’action sortirent un grand nombre de publications dont la seule qui ne soit pas complètement oubliée est l’Histoire parlementaire de la Révolution française. Plus dégagés de tout lien avec l’orthodoxie religieuse, trois membres notables du grand collége, M. Pierre Leroux, M. Jean Reynaud, M. Carnot, s’associèrent dans une doctrine un peu indécise, celle du progrès continu de l’humanité. L’oeuvre la plus considérable de ce groupe d’écrivains, ce fut l’Encyclopédie moderne. Pendant que ces deux écoles se disputaient l’honneur de continuer l’œuvre de Saint-Simon, un ami fidèle du maître, M. Auguste Comte, fondait à son tour une école destinée, dans son intention, à remplacer toutes les religions et toutes les philosophies par la doctrine positive ou positiviste.

À côté de ces trois grands rameaux du saint-simonisme, l’école de Charles Fourier, plus ancienne, mais un instant disparue dans les splendeurs passagères de sa rivale, refleurissait sous l’active direction de M. Victor Considérant. Au Phalanstère succédait la Phalange, remplacée elle-même par la Démocratie pacifique. En même temps, on voyait entrer en scène un certain nombre d’écrivains fort divers, mais se rattachant tous par une filiation incontestable, quoique indirecte, à la primitive impulsion du socialisme : je veux parler de l’auteur de l’Icarie, M. Cabet, déjà tout occupé d’attirer à lui les classes ouvrières par le charme grossier, mais puissant, de son risible Eldorado ; de M. Louis Blanc, dont le livre néfaste sur l’Organisation du travail reproduit si visiblement la fameuse hiérarchie saint-simonienne ; enfin,