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ordonner que nos troupes n’entrassent qu’à trois heures dans la place. Le maréchal lui accorda cette demande avec courtoisie et le complimenta sur la bravoure de ses soldats ; J’entendis M. de La Tour lui dire : « Pour nous, nous avons bien fait notre devoir ; j’ai laissé quatorze officiers et six cents hommes sur la place. » Deux de ces officiers tués, MM. de Caumont et de Reynold, avaient été mes camarades de collège. Lorsque du haut de la terrasse nous vîmes les troupes italiennes sortir de la ville l’arme au bras, tambours battant et enseignes déployées, beaucoup d’officiers, parmi lesquels je rougis maintenant de me compter, commencèrent à murmurer en se demandant tout haut les uns aux autres si c’était pour qu’on accordât à l’ennemi une pareille capitulation que tant de nos braves camarades venaient de périr. Le général Hess, qui avait été chargé par le maréchal de signer la capitulation, eut l’indulgence de ne pas vouloir entendre ces discours. Nous ignorions alors les motifs qui l’avaient déterminé à accorder à l’ennemi une capitulation assez honorable pour qu’il renoncât à défendre encore la ville pendant plusieurs jours ; mais quand l’armée, partie le soir même pour regagner Vérone à marches forcées, se trouva déjà, le 13 juin, réunie tout entière dans cette ville et prête à livrer bataille, lorsque les Piémontais, nous croyant encore devant Vicence, vinrent attaquer Vérone, se promettant une facile victoire, alors les sentimens de respect et d’admiration que nous portions au maréchal cet au général Hess s’accrurent de tout le regret que nous éprouvâmes d’avoir été si légers dans nos jugemens.

À deux heures, j’allai sur la route, à la sortie de la ville, pourvoir défiler la garnison. Durando marchait à la tête de son état-major, suivi de plusieurs bataillons de troupes romaines. Les soldats avaient presque tous des traits superbes, les yeux noirs, le nez aquilin, la moustache et les cheveux noirs comme le jais ; ils étaient beaux, mais lorsqu’ils vinrent à passer devant nos Croates à la grande taille svelte et élancée, à l’expression de visage dure et sauvage, tous ces soldat, romains me parurent mous et efféminés. Beaucoup d’élégantes voitures, où étaient assises des femmes qui paraissaient fort distinguées, sortirent aussi de la ville. Quelques-unes de ces dames, en passant devant nous, détournaient la tête avec affectation ; d’autres s’éventaient en maniant leur éventail avec des gestes saccadés et nerveux, comme une arme avec laquelle on voudrait frapper ; la plupart avaient l’air triste et souffrant. Je remarquai dans une calèche une jeune femme qui pleurait et sanglotait en serrant sur sa poitrine un tout petit enfant ; elle lui avait fait une petite tente avec son mouchoir blanc pour préserver son visage des rayons brûlans du soleil. — Lorsque les bataillons suisses vinrent à passer, des murmures d’admiration s’élevèrent parmi