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l’ordre d’attendre que le premier et le second corps eussent commencé leur attaque sur la ville. Culoz fit reposer quelques instans ses soldats, est, lorsqu’il entendit le canon tonner de toutes parts, au sud et à l’est de la ville, il marcha à l’assaut des redoutes du mont Berico. Le colonel Reischach s’élance le premier sur les barricades à la tête de ses soldats ; deux officiers de cavalerie le suivent à pied, mais au même instant ils tombent tous les trois renversés par les balles. Le général Culoz fait emporter ces barricades, et marche aussitôt à l’attaque de la redoute élevée sur le sommet du mont Berico ; les chasseurs du 10e  bataillon s’élancent en avant, gravissent cette pente rapide en s’accrochant aux herbes et aux broussailles ; le colonel Koppal et plusieurs officiers tombent frappés mortellement, mais rien n’arrête les chasseurs, et le capitaine Jablonski, sous les yeux du maréchal, entre le premier à leur tête dans cette redoute, que l’ennemi croyait imprenable. Les Suisses, abandonnés par les lâches crociati, se retirent dans le couvent et dans l’église. Église de la Madona del Monte, et font une héroïque résistance ; les chasseurs, suivis des Oguliner[1] et des bataillons de Latour, brisent les portes ébranlées par les boulets ; on se bat dans l’église, les obus et la mitraille détruisent les chefs-d’œuvre de Paul Véronèse, le sang souille les dalles. L’ennemi ne peut soutenir cette impétueuse attaque, et se retire dans la ville. Alors Culoz, maître des hauteurs et des terrasses qui dominent Vicence, y range ses batteries et foudroie les maisons.

Je n’avais pu quitter Vérone qu’à midi, ignorant encore que l’armée attaquait Vicence. N’ayant pas trouvé de chevaux à Montebello, je pris un guide et continuai ma route à pied. Je gagnai Arcugnana par les sentiers des montagnes. Si je n’avais trouvé çà et là quelques débris d’armes brisées dans les chutes des soldats, si je n’avais aperçu au fond d’un précipice deux chevaux morts et les débris d’un chariot de munitions, jamais je n’aurais cru qu’une troupe eût pu passer par là avec de l’artillerie. Il y eut des places où les soldats furent obligés de grimper sur les rochers qui bordent un des côtés de ce chemin étroit, et de soutenir avec des cordes les canons dont les roues, du côté du précipice, étaient en l’air et sans point d’appui. Comme je sortais d’Arcugnana, j’entendis le bruit du canon : je pressai le pas et atteignis une hauteur d’où je vis de loin les lignes de fumée que les bombes traçaient sur l’azur du ciel ; mes camarades attaquaient Vicence, et je n’y étais pas. Alors, jurant et furieux, je commençai à courir à perdre haleine et presque sans m’arrêter jusqu’au Castel-Rombaldo. Là, la route était couverte de cadavres de Suisses et d’Autrichiens, de chevaux morts, de

  1. Soldats du 3e  régiment d’infanterie des frontières militaires, qui se lève dans le district de la Croatie dont Ogulin est le chef-lieu.