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de Marie-Thérèse pour le colonel Reischach. J’allai à Mantoue ; le maréchal, content et satisfait, me fit asseoir près de lui à dîner et se plut à me faire répéter, les détails du combat. Le soir, les noms de Clam, Benedek et Reischach étaient sur toutes les lèvres ; la gloire de nos colonels et de nos généraux devenait notre propriété ; on se racontait avec orgueil leur bravoure, leurs dangers, et l’on jurait qu’avec de tels chefs on prendrait le ciel d’assaut.

Les combats de Curtatone et de Montanara furent très brillans pour nos armes : nous prîmes à l’ennemi cinq canons, cinq chariots de munitions, et nous fîmes prisonniers deux mille hommes, cinquante-neuf officiers et quatre officiers supérieurs. Cette victoire n’en fut pas moins chèrement achetée ; il fallait marcher à découvert contre un ennemi retranché, emporter d’assaut chaque maison, devenue une forteresse ; partout les officiers s’élancèrent les premiers. Le calcul suivant le prouve assez : les compagnies étaient de cent vingt hommes, et chaque compagnie avait quatre officiers. La proportion du nombre des soldats tués et blessés à celui des officiers aurait donc dû être comme un est à trente ; elle fut, dans le régiment de Paumgartten, comme un est à neuf, dans le régiment de Prohaska comme un à huit, et dans les autres comme un à dix. Ce fut à la tête de ces deux régimens que les colonels Reischach et Benedek emportèrent les redoutes de Montanara et Curtatone, et forcèrent la ligne ennemie.

Le soir, j’allai à l’hôpital ; il était rempli de nos blessés : neuf officiers d’un bataillon de Paumgartten étaient réunis dans une salle ; l’un d’eux avait le genou fracassé par un éclat d’obus, et suppliait qu’on lui coupât la jambe ; près de là, le capitaine comte Thurn, calme et tranquille, disait adieu à quelques officiers qui l’entouraient : il avait eu l’estomac traversé par une balle comme il marchait à l’assaut de la redoute de Montanara, et il n’avait plus que quelques heures à vivre. Je trouvai là aussi un de mes nouveaux camarades, le pauvre Schonfeld, qui venait de quitter sa famille et d’entrer au service quelques jours seulement avant ce combat. Je m’assis sur son lit pour l’encourager, mais il n’avait pas besoin de mes consolations ; il riait de sa mauvaise chance, plaisantait sur sa blessure, et cependant trois jours après il était mort. Comme je revenais, espérant enfin pouvoir me reposer de cette extrême fatigue, je fus envoyé porter l’ordre de marche pour le lendemain aux généraux Wratislaw et Wocher. Je partis en voiture ; mais les corps morts qui se trouvaient sur la route de Delle-Grazie effrayèrent les chevaux, qui ne voulurent pas avancer : je fus obligé de descendre, de faire la route à pied, et je ne revins à Mantoue qu’au point du jour.

Le général Bava, chef de l’état major de l’armée piémontaise, n’avait été informé de notre marche sur Mantoue que le 28 au soir, lorsque