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sur la gauche ; et au point du jour j’atteignis l’arrière-garde, qui s’était arrêtée. Quelques officiers de hulans dormaient, penchés sur le cou de leurs chevaux ; je les reconnus, et, enviant leur paisible sommeil, je les réveillai brusquement, pour m’amuser de leur mauvaise humeur et de leur surprise. En traversant Castelfranco, je vis de loin, sur son balcon, la belle fille du docteur dont j’avais visité la galerie de tableaux à mon arrivée en Italie. Je m’arrêtai un moment pour la contempler, mais je passai ensuite humblement sous ses yeux sans oser lever la tête ; quelques mois auparavant, elle m’avait vu dans mon brillant uniforme, monté sur un cheval ardent et plein de feu, et maintenant, mouillé, pâle de fatigue, je marchais péniblement au milieu des traînards dans la boue du chemin. Enfin, après avoir traversé Citadella, j’arrivai à Fontenive, village sur la rive gauche de la Brenta, où le général comte Thurn s’était arrêté. Le pont sur la rivière était couvert de térébenthine et de poix, et une bande d’insurgés allait y mettre le feu, quand les hulans de l’avant-garde, s’élançant sur eux, les dispersèrent. Je pus alors m’arrêter ; j’étais au milieu des braies troupes qui allaient rejoindre le maréchal à Vérone. Les officiers n’entourèrent bientôt ; et me dirent quelles fatigues ils avaient souffertes, quelles difficultés, quels obstacles ils avaient surmontés ; partout les ponts brûlés, l’immense digue sur le Tagliamento détruite dans plusieurs endroits. L’ennemi, ayant garni de canons les têtes de pont élevées au temps des grandes guerres avec la France, défendait le passage sur tous les points ; mais l’audace et l’habileté du général Nugent avaient triomphé de ces obstacles. Une brigade, remontant la Piave sur la rive gauche, était allée franchir cette rivière près de ses sources pour descendre sur la rive droite et tourner l’ennemi ; dans cette marche hardie, les soldats avaient suivi des chemins étroits au milieu des rochers sur le bord des précipices, — des chemins si dangereux, que les gens du pays ne pouvaient croire que la cavalerie eût osé s’y hasarder.

Le jour suivant, au lever du soleil, l’armée se mit en marche ; le général Thurn voulait tenter une attaque sur Vicence. À deux heures, la tête de la colonne n’étant plus qu’à un quart de lieue de la ville, l’avant-garde, formée de deux compagnies de Banater[1] et d’un peloton de hulans commandé par le lieutenant comte Zichy, s’avança jusqu’aux premières maisons qui bordaient la route. De ces maisons. Occupées par l’ennemi, partit une grêle de balles qui renversa les premiers rangs des Banater ; ceux-ci s’arrêtèrent, puis reculèrent en désordre devant ce feu meurtrier. Le comte Zichy, indigné, s’élança de son cheval, saisit un fusil et les ramena au combat ; mais, comme

  1. Soldats du 12e régiment d’infanterie des frontières militaires, qui se lève dans le district du banat de Temeswar dont Pancsowa est le chef-lieu.