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ne put les arrêter ; les piémontais prirent la fuite ; les nôtres rentrèrent dans Santa-Lucia : la victoire était à nous.

Le général comte Clam, venant de Tomba, arriva en ce moment avant les piémontais sur leur ligne de retraite : il attaqua aussitôt la tête de leur second corps, qui était en pleine déroute. La confusion fut extrême, presque tous les bataillons se débandèrent, comme l’avouent les Piémontais ; mais ce terrain planté de mûriers, sur lequel on ne voyait pas à cinquante pas devant soi, les sauva d’une destruction complète en empochant les nôtres de voir ce désordre et d’en profiter. L’ennemi put donc à la nuit reprendre les positions qu’il avait quittées le matin.

La route et les chemins qui traversent Santa-Lucia étaient couverts de cadavres, les maisons trouées par les boulets, les arbres brisés, le clocher de l’église tout percé à jour, les jardins pleins de débris et d’armes abandonnées. L’affaire avait été sanglante, et les Piémontais avaient combattu avec une grande bravoure ; on voyait partout, pendant le combat, leurs officiers s’élancer en avant et exciter leurs gens. — Allons ! en avant ! en avant ! Courage ! la victoire est à nous, entendait-on crier de toutes parts en français. Ces hommes intrépides étaient des Savoyards de la brigade d’Aoste, comme je m’en assurai par les lettres trouvées sur les morts ; leurs officiers et ceux des nôtres qui étaient tués s’étaient bien exposés ; ils étaient frappés en pleine poitrine, et leurs corps percés de plusieurs balles. C’était un glorieux combat ; on s’était battu avec un élan, un acharnement extrême, comme il convient à des hommes, et la victoire avait été bien disputée. Je fus étonné surtout, au commencement de l’affaire, de voir avec quelle hardiesse les Piémontais menaient leurs canons jusqu’au milieu de la ligne de nos tirailleurs, et la rapidité avec laquelle leurs sapeurs, malgré notre feu, abattaient les peupliers de la route pour garantir les pièces des attaques de la cavalerie.

Nous étions tous fiers et heureux d’avoir vu l’archiduc François-Joseph ; notre futur empereur, et les princes de la maison impériale partager nos dangers ; le sentiment de respect qu’inspirait l’héritier futur de tant de puissance se changea en sentiment d’admiration, d’amour et de reconnaissance, quand on le vit venir combattre avec nous, partager nos dangers et abaisser la grandeur de sa race devant le suprême niveau de la mort. La guerre d’Italie était, à vrai dire, une guerre charmante ; c’était un duel élégant entre gens courtois et bien élevés ; la campagne était parée de fleurs, l’air était embaumé, et le soir d’un jour de combat, assis sur les coussins de velours du salon de quelque élégant palais, nous respirions l’air frais de la nuit, écoutant les chants nationaux de nos soldats et prenant des sorbets dans des coupes de cristal. Nous vivions dans l’abondance et la joie. Le jeu, le