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Nous étions toujours sans nouvelles de Milan et du corps d’armée du maréchal ; nous savions que le roi Charles-Albert avait passé le Tessin à la tête d’une nombreuse armée ; les bruits les plus sinistres circulaient de toutes parts, et ces jours étaient cruels pour tous, car le cœur le plus égoïste ne pouvait rester insensible au sort de tant de compagnons d’armes. Le lendemain de notre arrivée à Peschiera (30 mars 1848), je fus envoyé avec mon peloton faire une reconnaissance vers Desenzano ; le temps était superbe, un soleil radieux se levait sur les bords du lac de Garde, où se miraient les belles montagnes bleues du Tyrol, déjà toutes resplendissantes de lumière. Tout à coup je vis un cavalier paraître sur la route ; dès qu’il m’eut aperçu, il tourna bridé et partit à fond de train ; mais nous lançâmes nos chevaux au galop. — Hurrah ! les chevau-légers ! Le cavalier est bientôt atteint, jeté à bas de cheval et fouillé par mes gens, qui trouvent sur lui la proclamation suivante « Aux armes ! l’armée de Radetzky, chassée de Milan, fuit vers Vérone ! Aux armes ! braves Italiens ! Courage ! et l’Italie sera libre ! » Je questionnai cet homme, et sus par lui que le maréchal était avec son armée du côté de Brescia. Le maréchal devait être aussi sans nouvelles du reste de l’Italie et ignorer notre sort ; je résolus d’aller jusqu’à lui, et, monté sur un cheval polonais ardent et fort, je partis suivi du plus brave de mes hommes.

J’arrivai au galop ; le pistolet à la main, sur la place de Desenzano, et, pour effrayer les gens qui étaient là, j’ordonnai de préparer trois cents rations de fourrage pour une division de cavalerie qui allait arriver. Je repartis sans qu’on eût osé tirer sur moi ; cela me rendit audacieux, et, ayant continué ma route, j’arrivai aux premières maisons de Lonato. Je lance mon cheval au galop dans les rues de la ville, et, menaçant avec mon pistolet un groupe d’hommes qui était là sur la place, j’apprends d’eux que l’armée du maréchal est à Montechiaro ; je repars en ranimant l’ardeur de mon cheval, et bientôt après j’aperçois sur la route les deux hussards de l’extrême avant-garde.- La joie me fit battre le cœur ; j’agitai mon mouchoir blanc afin qu’ils ne tirassent pas sur moi, et remontai pendant plus d’une heure, sur cette route étroite, le courant de ce fleuve d’hommes, de chevaux et de voitures ; les officiers me dirent que le maréchal était sans nouvelles de Vérone, et qu’on croyait Mantoue et Peschiera aux mains des révoltés. Impatient d’arriver, je poussais avec peine mon cheval à travers ces flots d’hommes ; enfin j’aperçois le maréchal Radetzky sur une place, et, sautant à bas de cheval : « Excellence, lui dis-je le général d’Aspre est à Vérone avec seize mille hommes ; Mantoue et Peschiera sont encore à nous. » Alors le maréchal m’embrassa plusieurs fois en me serrant sur sa poitrine ; le calme et la tranquillité qui régnaient sur ses traits avaient jusqu’à ce moment été loin de son cœur ; l’émotion de la