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mon régiment, ils s’indignaient de voir ainsi disparaître sur la terre étrangère la splendeur et la majesté du trône. Le duc de Blacas est enterré aux pieds du roi Charles X, sans inscription, sans pierre sépulcrale ; noble humilité digne d’un cœur fidèle jusque dans la mort.

Nous arrivâmes à Versa par une extrême chaleur ; le château où je fus logé avait cet air de grandeur que l’on retrouve partout dans les constructions italiennes : au bout d’un péristyle à colonnes, un escalier double, d’une élégance charmante et tout en marbres incrustés, menait à une belle salle, haute de deux étages ; aux quatre coins, de grandes portes s’ouvraient sur les appartemens ; les murs étaient couverts de vieilles boiseries et de grandes tentures de Flandre ; au milieu de ma chambre, sur une estrade, était un de ces lits si vastes, qu’on ne sait s’il faut s’y coucher en long ou en large. L e concierge m’ouvrit la bibliothèque ; je vis sur une table l’arbre généalogique de la famille à laquelle appartenait le château, et de gros cahiers en parchemin avec des sceaux en plomb portant les empreintes de têtes de doges du XIIe et du XIIIe siècle ; une armoire contenait l’Encyclopédie, une autre plus de deux cents romans, tous romans d’amour, de cette littérature légère des règnes de Louis XV et de Louis XVI. J’ouvris quelques volumes, et je remarquai des pensées, des réflexions fines et spirituelles écrites en français sur les marges ou sur des feuilles volantes. Je demandai à qui ces livres avaient appartenu ; le concierge me mena devant un grand portrait représentant une ravissante jeune femme aux cheveux poudrés, aux sourcils gracieusement arqués, aux yeux vifs et brillans : c’était le portrait d’une comtesse T… à laquelle ce château avait appartenu. J’ai su depuis que cette belle personne avait inspiré une longue et tendre passion à l’empereur Joseph II. Je passai la nuit dans la bibliothèque à feuilleter ces livres annotés par une main charmante, et le matin, avant de monter à cheval, j’allai dire un dernier adieu à l’aimable comtesse du portrait. Deux années après mon passage à Versa, me trouvant à Vienne, dans un salon, je vis entrer une jeune femme dont les traits me frappèrent, comme si je l’avais déjà vue quelque part ; je demandai son nom : c’était la petite-nièce de la comtesse T…

Le 27 août, nous arrivâmes à Udine : la place Contarini est charmante, surtout le soir, quand le soleil couchant dore les sveltes colonnes qui soutiennent le palais du gouvernement. J’allai voir la chapelle Torriani : il y a là quatre bas-reliefs admirables de la main de Torelli, le maître de Canova. Nous nous rendîmes au théâtre. L’affiche annonçait une représentation au bénéfice de la prima donna assoluta. Je fus là, pour la première fois, témoin de la complaisance avec laquelle les italiens prodiguent leur enthousiasme. La prima donna fut couverte de couronnes ; on lui présenta des bouquets qui avaient plus