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de ne pas laisser mes soldats s’éloigner pendant mon absence. « Je n’y puis rien, ni vous non plus, me dit-il d’un ton tranquille eh bien ! laissons faire. » Le village où le combat avait eu lieu était sur une seigneurie de la duchesse de Berry. Je me rendis chez le bailli et le priai instamment de s’employer pour éviter que les plaintes des paysans n’allassent jusqu’au chef-lieu ; je craignais pour mes soldats les dispositions peu bienveillantes de quelques employés du gouvernement de la province ; je redoutais surtout le retentissement d’une pareille histoire, car en temps de paix il en est presque des régimens comme des jeunes personnes à la cour : « moins on en parle, mieux ils valent. » Le bailli fut poli et obséquieux ; mais j’appris par la suite que, bien loin de calmer les fermiers, il les avait excités à porter plainte.

Heureusement une bonne nouvelle me délivra promptement de ces inquiétudes. Le 6 au matin, mon maréchal-des-logis m’annonçait que le régiment avait reçu l’ordre de se mettre, dans deux jours, en marche pour l’Italie ; j’allais quitter une partie de ma famille, tout ce que j’avais aimé, un pays que j’habitais depuis sept années, mais je ne pus modérer l’élan de ma joie. L’Italie, Venise, Milan, Florence, et peut-être la guerre, les combats, la gloire, tout était pour moi dans ces mots, et peu m’importaient dès ce moment les plaintes du bailli de Weitersfeld. Si souvent, pendant les longues soirées d’hiver, j’avais entendu les vieux capitaines raconter que le régiment avait été deux fois en Italie ! Ils avaient été en garnison à Naples, à Capoue, à Palerme ; leurs récits étaient pleins d’intérêt, et toutes les fois qu’ils parlaient de cette glorieuse époque, leurs visages, ordinairement calmes et sévères, s’animaient du feu de la jeunesse.

Le 9 au matin, mon peloton était rangé sur la place du village ; la pensée du départ attristait les jeunes soldats, et quelques larmes roulaient sur leur visage, déjà hâlé. Les Bohêmes, si violens, si féroces dans le combat, ont l’ame tendre et mélancolique comme tous les peuples slaves. Bientôt mon chef d’escadron arriva. J’allai à lui, et, le saluant de mon sabre, je commandai la marche. C’en était fait : souvenirs tristes et souvenirs heureux, vallées et montagnes parcourues tant de fois au galop par les belles nuits d’été, châteaux hospitaliers, il fallait laisser tout cela derrière moi ; il fallait oublier le beau pays de Styrie où j’avais passé tant d’heures heureuses ; mais l’Italie m’attendait, et je ne devais m’arrêter qu’à Vérone.

À Gonowitz, j’allai avec quelques officiers passer la soirée au château du prince Verian Windisch-Graetz ; à la nuit, de retour au village, nous trouvâmes pour tout gîte une grande chambre de paysan où chacun de nous dormit sur la paille. Le poêle était chauffé à selon l’usage des paysans autrichiens, pour faire cuire les légumes destinés aux bestiaux. La sueur nous coulait du front ; les grillons nous