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sans bruit sa chambre. Arrivé dans la salle à manger, il se prit à songer au repas qu’il avait fait seul avec sa maîtresse quelques heures auparavant ; la fenêtre était ouverte, et il chercha des yeux cette belle étoile de Mlle Colette, cette étoile de Vénus qui brillait alors au ciel, d’une clarté si sereine : elle n’y était plus. Tout à coup une pensée étrange lui monta au cerveau les dernières paroles qu’avait dite Gaudet d’Arras lui revinrent à l’esprit, et, comme un larron, comme un traître, il se précipita vers la chambre où reposait l’aimable femme. Grace aux habitudes confiantes de la province, une simple porte vitrée fermée d’un loquet constituait toute la défense de cette pudique retraite, et même la porte n’était que poussée. La respiration égale de Mme Parangon marquait d’un doux bruit les instans fugitifs de cette nuit. Nicolas osa entrouvrir la porte, puis, tombant à genoux, il s’avança jusqu’au lit, guidé par la lueur d’une veilleuse, et alors il se releva peu à peu, encouragé par le silence et l’immobilité de la dormeuse.

Le coup d’œil que jeta Nicolas sur le lit, rapide et craintif, ne porta pas à son ame tout le feu qu’il en attendait. C’était la seconde fois qu’il avait l’audace de pénétrer dans l’asile d’une femme endormie ; mais Mme Parangon n’avait rien de l’abandon ni de la nonchalance imprudente de la pauvre Marguerite Pâris. Elle dormait, sévèrement drapée comme une statue de matrone romaine. Sans la douce respiration de sa poitrine et l’ondulation de sa gorge voilée, elle eût produit l’impression d’une figure austère sculptée sur un tombeau. Le mouvement qu’avait fait Nicolas l’avait sans doute à demi réveillée, car elle étendit la main, puis appela faiblement sa servante Tiennette. Nicolas se jeta à terre. La crainte qu’il eut d’être touché par le bras étendu dee sa maîtresse, ce qui certainement l’eût tout-à-fait réveillée lui causa une impression telle qu’il resta, quelque temps immobile, retenant son haleine, tremblant aussi que Tiennette n’entrât. Il attendit quelques minutes, et, le silence n’ayant plus été troublé, l’apprenti n’eut que la force de se glisser en rampant hors de la chambre. Il s’enfuit jusqu’à la salle à manger et se tint debout dans l’encoignure d’un buffet ; peu de temps après, il entendit un coup de sonnette. Mme Parangon réveillait sa servante et la faisait coucher près d’elle.

Comment oser reparaître devant le cordelier après une si ridicule tentative ? Cette pensée préoccupait Nicolas le lendemain plus vivement même que le regret d’une occasion perdue. Ainsi la corruption faisait des progrès rapides dans cette ame si jeune, et les douleurs de l’amour-propre dominaient celles de l’amour.

Le lendemain, après le dîner, Mme Parangon pria Nicolas de lui faire une lecture, et choisit les Lettres du marquis de Moselle. Rien, du reste, dans son ton, dans ses regards, n’indiquait qu’elle connût la cause du