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Quelques jours après, le cordelier repassa, vêtu de sa robe cette fois, et invita Nicolas à venir déjeuner dans sa cellule. Il lui avoua, dans les momens d’épanchement qu’amenèrent les suites d’un excellent repas accompagné de vins exquis, que la vie religieuse lui était à charge depuis long-temps, d’autant qu’elle n’était pas pour lui le résultat d’un choix, mais d’une exigence de sa famille. Il était du reste en mesure de faire casser ses voeux, ce qui pouvait servir d’excuse à la légèreté de sa conduite.

Il y avait naturellement, dans l’ame indépendante de Nicolas, une profonde antipathie pour ces institutions féodales, survivant encore dans la société tolérante du dix-huitième siècle, qui contraignaient une partie des enfans des grandes familles à prononcer sans vocation des vœux austères qu’on leur permettait aisément d’enfreindre, à condition d’éviter le scandale. Nicolas ne s’était pas senti au premier abord beaucoup de sympathie pour ce moine qui avait oublié sa robe dans les blés ; mais l’idée que Gaudet d’Arras ne faisait qu’anticiper sur l’époque future de sa liberté le rendait relativement excusable. Il s’établit donc une liaison assez suivie entre Nicolas et le cordelier. Si l’on a jusqu’ici apprécié favorablement les actions du premier, on pourra reconnaître encore en lui un cœur honnête, emporté seulement par des rêveries exaltées ; quant à l’autre, c’était déjà un esprit tout en proie au matérialisme de l’époque. Sa mère lui faisait une forte pension qui lui permettait d’inviter souvent à dîner les autres moines dans sa cellule, fort gaie et donnant sur le jardin. Nicolas fut quelquefois de ces parties, où l’on buvait largement, et où l’on émettait des doctrines plus philosophiques que religieuses. L’influence de ces idées détermina plus tard les tendances de l’écrivain ; lui-même en fait souvent l’aveu.

Cette intimité dangereuse amena naturellement des confidences. Le cordelier daigna s’intéresser aux premiers amours du jeune homme, tout en souriant parfois de son ingénuité. — En principe, lui dit-il, il faut éviter tout attachement romanesque. L’unique moyen de ne pas être subjugué par les femmes, c’est de les rendre dépendantes de vous. Il est bon ensuite de les traiter durement, elles vous en aiment davantage. Je me suis aperçu de votre attachement pour Mme Parangon ; prenez garde à l’adoration dont vous l’entourez. Vous êtes la souris avec laquelle elle joue, l’humble serviteur qu’elle veut conserver le plus long-temps possible dans cette position. C’est à vous de prendre le beau rôle en ôtant à la belle dame la gloire qu’elle acquerrait en vous résistant… - Nicolas ne comprenait pas une doctrine aussi hardie, il souffrait même de voir son ami profaner le sentiment pur qui l’attachait à sa patronne. — Que voulez-vous dire ? observa-t-il enfin. — Je dis qu’il faut cesser de manger votre pain à la fumée. Osez vous déclarer, et