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Quelquefois il lui plaisait d’essayer un nouveau sytème d’orthographe ; il en avertissait tout à coup le lecteur au moyen d’une parenthèse, puis il poursuivait son chapitre, soit en supprimant une partie des voyelles, à la manière arabe, soit en jetant le désordre dans les consonnes, remplaçant le c par l’s, l’s par le t, ce dernier par le ç, etc., toujours d’après des règles qu’il développait longuement dans ses notes. Souvent, voulant marquer les longues et les brèves à la façon latine, il employait, dans le milieu des mots, soit des majuscules soit des lettres d’un corps inférieur ; le plus souvent il accentuait singulièrement les voyelles, et abusait surtout de l’accent aigu. Cependant aucune de ces excentricités ne rebutait les innombrables lecteurs du Paysan perverti ; des Contemporaines ou des Nuits de Paris ; c’était désormais le conteur à la mode, et rien ne peut donner une idée de la vogue qui s’attachait aux livraisons de ses ouvrages, publiés par demi-volumes, sinon le succès qu’ont obtenu naguère chez nous certains romans-feuilletons. C’était ce même procédé de récit haletant, coupé de dialogues à prétentions dramatiques, cet enchevêtrement cette multitude de types dessinés à grands traits, de situations forcées mais énergiques, cette recherche continuelle des mœurs les plus dépravées, des tableaux les plus licencieux que puisse offrir une grande capitale dans une époque corrompue, le tout relevé abondamment par des maximes humanitaires et philosophiques et des plans de réforme où brillait une sorte de génie désordonné, mais incontestable, lui fît ce qu’on appela cet auteur étrange le Jean-Jacques des halles.

C’était quelque chose ; cependant l’homme fut meilleur peut-être que ses livres ; ses intentions étaient bonnes en dépit des caprices d’une imagination dévergondée. Il passait souvent les nuits à parcourir les rues, pénétrant dans les bouges les plus infects, dans les repaires des escrocs, soit pour observer, soit dans sa pensée pour empêcher le mal et faire quelque bien. Il s’imposait, dit-il, le rôle de Pierre-le-Justicier non en vertu des devoirs de la royauté mais de ceux de l’écrivain moraliste. Cette étrange prétention le suivait également dans ses relations du monde, où il se faisait le médiateur des querelles et des divisions de famille ou l’intermédiaire de la bienfaisance et du malheur. Il se vante aussi d’avoir, dans ses excursions nocturnes, consolé ou soulagé plus d’un misérable, arraché quelques jeunes filles à l’opprobre ou à l’outrage : ce serait de quoi lui faire pardonner bien des fauté et bien des erreurs. Restif est surtout connu comme romancier ; il a pourtant écrit quelques volumes de philosophie, de morale et même de politique ; seulement il ne les publia que sous son prénom. La Philosophie de M. Nicolas contient tout un système panthéiste, où il tente, à la manière des philosophes de cette époque, d’expliquer l’existence du monde et des hommes par une série de créations ou plutôt d’éclosions du monde et des hommes par une série de créations ou plutôt d’éclosions successives