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et de la vaincre en Bade ; mais elle l’avait servie dans le Schleswig, et c’était le reproche que lui faisait l’Europe, reproche embarrassant, parce que l’Angleterre et la Russie s’en faisaient toutes deux les organes. L’Europe n’avait pas vu sans mécontentement la guerre que la Prusse faisait au Danemark pour lui arracher le Schleswig ; la Prusse avait beau dire qu’elle n’agissait qu’au nom de l’Allemagne, et l’Allemagne avait beau dire aussi de son côté que les Schleswikois étaient des Allemands : cette revendication étymologique paraissait à la fois injuste et ridicule. L’Europe, au XVIIe siècle, s’était indignée contre les chambres de réunion de Louis XIV, qui se faisait adjuger par des arrêts qui n’avaient d’autre principe que les mouvances féodales, toujours fort confuses, des terres et presque des provinces que ne lui donnaient pas les traités. Le parlement de Francfort avait voulu faire, au nom de la linguistique et de l’étymologie, sciences un peu conjecturales, ce que Louis XIV avait fait au nom des mouvances féodales. Partout où il y avait des Allemands, c’était l’Allemagne, et partout où il y avait dans la langue quelques traces de parenté avec la langue allemande, c’était aussi l’Allemagne. L’Europe ne pouvait pas s’incliner devant ce nouveau droit de réunion.

La Russie faisait à la guerre du Schleswig un autre reproche que celui d’être une guerre étymologique : elle lui reprochait d’être une guerre de propagande révolutionnaire, et de ce côté elle avait contre l’insurrection du Schleswig les mêmes griefs que contre l’insurrection de la Hongrie et les mêmes motifs d’intervenir. Il y avait seulement cette grande différence, qu’en Hongrie la Russie intervenait pour soutenir l’Autriche, et qu’elle n’avait à combattre qu’une insurrection, tandis que dans le Schleswig elle serait intervenue contre la Prusse : mauvais spectacle, — que la Russie n’a pas voulu donner à l’Europe, — de deux états légitimes combattant l’un contre l’autre pour une révolution. Il fallait, pour que la Russie intervînt dans le Schleswig, que la Prusse n’y soutint plus le teutonisme greffé sur la démagogie. Pressée par les représentations de la Russie, la Prusse a fait la paix avec le Danemark en abandonnant le Schleswig à ses propres forces. Dès ce moment, si le Danemark ne peut pas à lui seul soumettre le Schleswig, l’intervention russe est une chose certaine et décidée. Si donc le Schleswig se soumet promptement, si les volontaires allemands qui accourent en Schleswig, beaucoup moins nombreux cependant qu’on ne le dit, ne retardent pas la pacification, ce sera pour l’Allemagne un grand bonheur, ou ce sera une grande épreuve de moins. La Russie en effet n’aura point de motifs pour venir faire dans le Schleswig ce qu’elle a fait en Hongrie, c’est-à-dire rétablir l’ordre et l’autorité légitimes. Si au contraire la démagogie ou le teutonisme germanique prolonge la résistance du Schleswig, la Russie viendra faire le dénoûment, et habituera de plus en plus l’Allemagne à recevoir de ses mains le dernier arrêt du sort. Les victoires du Danemark, qui contrarient l’Allemagne, servent au fond son indépendance ; elles lui épargnent une intervention russe.

La Prusse, qui avait eu beaucoup de peine à se décider à faire la paix avec le Danemark, n’a pas moins de peine maintenant à faire ratifier par l’Allemagne la paix qu’elle a faite au nom de la confédération. Dans les objections que l’Allemagne fait à la paix, il y a plusieurs sentimens opposés. Les uns se plaignent de la paix au fond, parce que la paix avec le Danemark contredit les prétentions du patriotisme germanique. C’est surtout dans les chambres re-