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éminens. Il y a une très jolie comédie de Calderon intitulée le Geôlier de lui-même ; pour peu que le gouvernement provisoire eût continué d’exister, nous aurions eu des préfets d’eux-mêmes, des ministres d’eux-mêmes, des commissaires d’eux-mêmes. L’arrivée subite de la démocratie entraîne nécessairement après elle la subdivision indéfinie du pouvoir : c’est là ce qui nous a sauvés et ce qui nous sauvera. Les parvenus sont généralement trop pressés de jouir et meurent fréquemment d’une indigestion ou des suites d’excès de cet ordre. L’esprit révolutionnaire est de même ; il se suicide par son intempérance, il porte l’anarchie non-seulement parmi les masses, mais dans l’ame de chacun.

Cependant, puisque le but de la révolution, ainsi que nous l’avons dit, était de détruire la bourgeoisie et de la remplacer par le peuple, il serait bon de connaître les idées politiques que les révolutionnaires prêtent au peuple. Ces idées ne sont pas seulement absurdes, elles sont présentées par les soutiens des classes populaires de la façon la plus singulière. Rien n’indique mieux tout ce qu’il y a de chimérique à vouloir faire du peuple une classe politique que les réclamations de ce que l’on a coutume d’appeler le prolétariat et la manière dont ces réclamations sont énoncées ou rédigées. Ainsi, par exemple, le peuple demande à devenir propriétaire, il demande à la société de le faire entrer en jouissance de la propriété, de le faire participer à la propriété, etc. Je ne pense pas que jusqu’à présent il ait été énoncé une proposition aussi plaisante. — Mais, bonnes gens, la propriété, si nous pouvons nous exprimer ainsi, n’est pas une affaire de classes, c’est une affaire individuelle. La propriété n’appartient pas à telle ou telle catégorie de citoyens ; par son nom même, elle indique une chose privée, essentiellement individuelle : elle indique en outre une chose créée. La propriété ne devient affaire de classes que lorsqu’elle provient du fait de la conquête. Vous qui criez si haut contre l’esclavage, l’infâme féodalité, vous devriez bien faire attention que vous êtes près de l’imiter. Comment, en effet, le peuple en masse parviendrait-il à la propriété ? Je ne vois, pour atteindre ce but, que le moyen dont nous avons déjà parlé, moyen mille fois plus hideux que la conquête, la spoliation, ou, comme dirait le citoyen Nadaud ou le citoyen Pelletier, l’expropriation pour cause d’utilité publique. Il n’y a pas possibilité d’équivoquer, il est inutile de venir se défendre de prêcher la guerre sociale. Ou bien ces mots, le peuple aspire à la propriété, le peuple veut devenir propriétaire, veulent dire tout simplement qu’il est bon et utile que les lois rendent la propriété accessible à chacun (c’est déjà fait depuis long-temps), et alors ces fameuses formules ne signifient rien du tout ; ou bien ces mots veulent dire que l’être collectif, anonyme