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dans leurs misères aux catastrophes des personnages illustres ; n’espérez plus les amuser comme autrefois : avec les vulgarités bourgeoises que réclamaient les novateurs du dernier siècle. En Allemagne, c’est un fait digne de remarque, presque tous les drames de ces derniers temps sont empruntés à l’histoire. J’ai déjà cité le Franz de Sikkingen de M. Bauernfeld, l’André Hofer de M. Auerbach, le Robespierre de M. Griepenkerl ; je pourrais en citer beaucoup d’autres. M. Zahlhas a composé un Toussaint Louverture ; M. Ring, dans son drame les Genevois, a peint la lutte de Calvin et de Servet ; un jeune poète, M. Koberle, a essayé de représenter à la manière des chroniques de Shakspeare toute la vie d’Henri IV, depuis la ligue jusqu’au coup de couteau de Ravaillac. M. Glogau s’est attaqué à Arnaud de Brescia, M. Prechtler à Jeanne de Naples, M. Raupach à Mirabeau. Toutes ces tentatives, pour la plupart assez médiocres, n’en attestent pas moins le mouvement que je signale. Seulement ce n’est pas assez de rendre au théâtre sa dignité et sa grandeur ; le drame historique exige des qualités rares : l’amour de la justice joint à la vigueur de l’imagination, l’étude des passions humaines unie au plus vif sentiment de l’idéal. Dans cette malheureuse époque surtout, au milieu de nos agitations et de nos haines, le poète dramatique a une mission sérieuse, et, s’il touche à l’histoire sans être un moraliste sévère, il manque au premier de ses devoirs. La critique allemande oublie trop aujourd’hui ces impérieuses conditions ; à force de désirer la renaissance du théâtre, elle semble abdiquer son rôle : on dirait qu’elle craint de décourager les poètes, tant elle accueille chacune de leurs œuvres avec une complaisance banale. Il vaudrait mieux pourtant, dans l’intérêt même de ce théâtre si désiré, donner aux écrivains des conseils plus virils. Au lieu de vous amuser à des conjectures sur ce drame mystérieux, indéfinissable, spécialement réservé aux descendans d’Arminius, maintenez les règles invariables de l’art, expliquez les obligations nouvelles qu’imposent au poète les bouleversemens de la conscience publique.

On a remarqué dans ce tableau les trois directions qui se partagent la littérature allemande. Brusquement arrêtés d’abord ou follement séduits par les tumultes de 1848, les écrivains s’empressent de revenir aux travaux de l’intelligence ; seulement les uns, les plus sages, ont compris que l’influence de la révolution n’avait rien de bon à leur donner, et ils ont repris leur tâche au point même où ils l’avaient interrompue la veille ; d’autres ont subi cette influence sans le vouloir, et leurs écrits en portent la triste empreinte ; d’autres enfin l’ont recherchée, au grand détriment de leur talent et de leur inspiration. Il y a dans cette expérience une leçon manifeste. L’ancienne poésie allemande s’appliquait à vivre loin des événemens, à se développer en