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remplace partout le dévouement, voilà une prédication bien opportune ! M. Auerbach a commis deux fautes singulièrement graves : publiciste, il a méconnu son temps ; artiste, il a abaissé la poésie.

Le théâtre allemand a besoin de grands efforts pour retrouver ses jours de gloire. Si la révolution de 1848 a donné aux théoriciens des espérances enthousiastes, elle a détourné les poètes de l’idéal, elle leur a suggéré des inspirations funestes. Les critiques prophétisent, dans le domaine du drame, la prochaine apparition d’une poésie supérieure, et c’est à ce moment même qu’un des plus habiles écrivains de l’Allemagne, retombant dans la vieille ornière, réduit le théâtre aux proportions du pamphlet. Les autres drames de l’hiver dernier, sans présenter les mêmes symptômes, n’offrent rien de vigoureux ou d’original, rien qui promette l’aurore de cette littérature nouvelle si complaisamment annoncée. À Vienne, le spirituel auteur de la République des bêtes, le poète qui dans ses deux comédies, le Majeur et l’Homme nouveau, raillait avec une bienveillante ironie les transformations révolutionnaires de l’Autriche, M. Bauernfeld, vient de faire représenter un drame dont Franz de Sikkingen est le héros. M. Bauernfeld est un humoriste trop ingénieux pour donner aux personnages de cette époque le langage et les mœurs qui leur conviennent. Les luttes de Franz de Sikkingen contre l’électeur de Trèves demandaient un peintre hardi. Ce défenseur des idées nouvelles qui faisait la guerre pour son propre compte à la féodalité du XVIe siècle, comme Ulric de Hutten et Goetz de Berlichingen, devait être reproduit avec la farouche énergie que développait dans les ames la fureur des guerres civiles et des passions religieuses. Il ne semble pas que M. Bauernfeld ait bien compris les exigences de son sujet. Il y a surtout dans son drame un certain Jacklein, chef de paysans, qui veut faire alliance avec Sikkingen, et qui, repoussé par lui, finit par être simplement son espion, en attendant que son tour vienne ; cette figure, qui devait jeter des éclairs, est peinte avec une singulière mollesse. Comment reconnaître dans ce paysan amoureux de la sœur de Sikkingen et parlant de l’amour en termes si purs le représentant de ces bandes affamées et furieuses qui vont bientôt donner en Allemagne le signal de l’extermination ? M. Charles Gutzkow a écrit, pour les fêtes de Goethe, une comédie historique empruntée aux Mémoires du grand poète. Pendant la guerre de sept ans, au moment de la bataille de Bergen, les Français occupaient Francfort, et le comte de Thorane, lieutenant du roi, habitait la maison du père de Goethe ; quand on apprit la victoire des Français, l’hôte du comte de Thorane ne cacha pas sa colère, et de là des scènes assez vives qui frappèrent singulièrement l’imagination de Goethe, alors tout enfant. C’est ce joli chapitre des Mémoires que M. Gutzkovv a porté sur la scène dans le Lieutenant du roi. La pièce est agréable ; n’y