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du dictateur, car une seule pensée la remplit du premier acte au cinquième, l’exposé du système de Robespierre et la proclamation de son rôle providentiel. Toutes les scènes, et souvent les plus étranges, n’ont d’autre but que d’amener cet unique et éternel discours. Ici, c’est Thérèse Cabarrus qui se fait présenter au dictateur pour le voir, l’admirer, lui prodiguer l’encens, mais aussi pour lui faire observer respectueusement qu’il y a peut-être assez de têtes coupées sur le chemin de la révolution ; Robespierre est inflexible, et, après avoir écouté la requête avec gravité, il expose pour la vingtième fois son système : à l’acte suivant, c’est la situation la plus saugrenue, c’est la plus emphatique sottise qu’il fût possible d’imaginer dans un pareil sujet ; ses interlocuteurs lui faisant défaut, Robespierre, impatient de prononcer une fois de plus sa harangue, se rend à Saint-Denis, descend dans les caveaux de l’église, et là, en face de ces cercueils augustes que des mains sacrilèges ont profanés, il rêve, il déclame, il s’exalte et récite toute une philosophie de l’histoire dont il est le couronnement suprême. Est-ce Cromwell ou Hernani qui a inspiré cette scène à M. Griepenkerl ? Soyons juste pour le poète allemand : cette invention, où le grotesque vient effacer l’odieux, lui appartient en propre, et j’y vois un contre-poison très efficace à tout ce qu’il y a de malsain et de contagieux dans son drame.

L’André Hofer[1] est une œuvre plus recommandable, quoiqu’elle soulève aussi de bien graves objections. La prose de M. Auerbach est moins brillante que les vers de M. Griepenkerl ; mais l’action est mieux liée, l’intérêt est plus soutenu. Quant à la signification de l’ensemble, si elle est plus dramatique et plus nette, il s’en faut bien qu’elle soit sans reproche. M. Griepenkerl prétend à l’impartialité du procès-verbal ; M. Auerbach, au contraire, s’empare de ses personnages pour leur faire exprimer une idée, et il se montre peu scrupuleux dans sa manière de façonner l’histoire. Le sujet, on doit l’avouer, se prêtait assez docilement aux interprétations de la poésie. L’histoire d’André Hofer est peu connue, même en Allemagne ; le caractère de cette formidable insurrection du Tyrol en 1809, les passions diverses qui enflammaient le peuple, tous les détails enfin de ces sanglantes catastrophes, n’ont pas encore été bien clairement étudiés. Des opinions très différentes ont été proposées sur le rôle et l’intelligence du chef tyrolien. Le baron Hormayr, qui a pris, comme intendant de la contrée, une grande part aux événemens, a décrit avec enthousiasme, dans sa Vie d’André Hofer et dans ses Épisodes des guerres de délivrance, l’héroïsme populaire de l’année 1809 ; il n’accorde cependant qu’une très faible

  1. Andree Hofer, geschichtliches Trauerspiel, von Berthold Auerbach ; Leipzig, 1850.