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La personne qui jouait le rôle de Clara, Mlle Unzehmann, est présente ; au milieu des subtiles remarques que lui inspire le jeu de l’actrice, Schlegel lui fait un compliment sur la blancheur de sa peau, et, comme pour justifier ce qu’il a dit, il expose aussitôt tout un système sur ce qu’il appelle l’émancipation de la chair. Ce fut là en effet pendant quelque temps la tendance de Frédéric Schlegel, comme il l’a lui-même affiché sans trop de vergogne dans son roman de Lucinde. L’auteur insiste beaucoup sur ces détails, puis il les résume ainsi : « On traita ce thème moitié sérieusement, moitié gaiement, avec toute la liberté qui régnait alors dans la conversation ; l’émancipation de la chair, qui devait, trente ans plus tard, exciter des luttes si vives en Allemagne, était déjà une vérité dans la conscience de ce temps et de cette société d’élite. » Les bienséances ne me permettent pas de discuter ce sujet avec l’auteur ; je demanderai seulement à Mlle Lewald comment elle a compris son héros et quelle pourra être la logique de son œuvre. N’est-ce pas précisément cette émancipation de la chair, ne sont-ce pas ces théories énervantes, ces molles langueurs, ce libertinage fardé de mysticisme, n’est-ce pas tout cela qui a perdu le prince Louis-Ferdinand ? Marié en secret à une jeune femme, Henriette From, dont la bonté un peu vulgaire impatiente bientôt son caractère altier, le prince Louis-Ferdinand va chercher ailleurs les brûlantes émotions dont il a besoin. Ce mélancolique don Juan a pris pour confidente de ses amours la célèbre Rahel, qui l’aime et voudrait l’arracher à tant d’indignes entraves. L’amour de Rahel, illuminé par l’ambition qu’elle se propose, aurait pu certainement fournir à un romancier de délicates et émouvantes peintures ; cet amour en effet, le prince l’ignore, et s’il s’en aperçoit enfin, c’est au moment où, enflammé par les généreuses passions du patriotisme, il va se faire tuer à Iena. On sent combien une telle idée pourrait être féconde. Par malheur, la pensée que je dégage ainsi n’apparaît que d’une manière indécise dans la trame de la narration. Gênée par ses théories saint-simoniennes, Mlle Lewald n’a pu blâmer assez vivement les désordres du prince ; elle n’a pu établir une différence assez tranchée entre la chaste héroïne et ses grossières rivales, et il semble que ces créatures de plaisir aient les mêmes droits que Rahel Levin sur le prince Louis-Ferdinand. Cette fâcheuse inspiration est d’autant plus regrettable, que Mlle Lewald possède un vrai talent, un esprit vif, sensé, ingénieux, et qu’elle nous a donné, dans maintes scènes, une spirituelle peinture de la société de Berlin.

Nous avons vu tout à l’heure les historiens les plus graves occupés à interroger l’histoire du XVIIIe siècle ; si les romanciers suivent la même voie, c’est surtout la conclusion de cette grande époque, ce sont les différeras épisodes de la révolution qu’ils se proposent de peindre. Mlle Lewald nous a montré la Prusse à la veille de la catastrophe d’Iéna ;