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à côté des monstrueuses sottises du socialisme ; voici pourtant un écrivain qui, dans le désarroi général, s’est inspiré çà et là des théories saint-simoniennes, sans s’apercevoir qu’il gâtait une œuvre où la distinction ne manque pas. Je parle de Mlle Fanny Lewald et de l’ingénieux roman qu’elle a publié l’année dernière[1]. Mlle Lewald a essayé de peindre la société de Berlin au commencement du XIXe siècle ; le héros de son livre est un prince de Prusse, le prince Louis-Ferdinand, à qui ses allures chevaleresques, ses pensées libérales, sa vie étrange et son libertinage désordonné composent en effet une figure curieuse et digne d’étude. C’est de lui que Mme de Staël a dit dans ses Dix Années d’exil : « J’eus l’honneur de faire connaissance avec le prince Louis-Ferdinand, celui que son ardeur guerrière emporta tellement qu’il devança presque par sa mort les premiers revers de sa patrie : c’était un homme plein de chaleur et d’enthousiasme, mais qui, faute de gloire, cherchait trop les émotions qui peuvent agiter la vie. » Autour du prince Ferdinand se placent des personnages intéressans : Rahel de Varnhagen, Frédéric et Dorothée Schlegel, Frédéric de Gentz, toute la brillante société littéraire de Berlin avant la bataille d’Iéna, sans compter les exilés ou émigrés français, M. de Tilly, par exemple, ou Mme de Staël. Une ame jeune, fière, héroïque, amollie tour à tour par les plaisirs raffinés de l’esprit et les entraînemens des sens ; un prince généreux, au cœur de flamme, aux chevaleresques ardeurs, cherchant un emploi indigne à l’activité qui le dévore, et jetant comme une proie à ses débauches tous les nobles dons qu’il a reçus, tel est le sujet que Mlle Lewald a résolûment choisi. Il fallait ici, on l’avouera une certaine hardiesse ; il fallait surtout un moraliste bien assuré de ses principes. L’auteur était-il dans de bonnes dispositions pour remplir cette tâche ? Mlle Fanny Lewald est sans doute un talent distingué, ses premiers romans, Jenny, Clémentine, indiquent çà et là une finesse psychologique assez rare ; le livre qu’elle a intitulé Diogena, vive satire dirigée contre les inventions aristocratiques de Mme la comtesse Hahn-Hahn, a obtenu un succès décisif : Mme la comtesse Hahn-Hahn ne s’en est pas relevée. Je regrette seulement que Mlle Lewald, assez mal inspirée çà et là, ait fait de si fâcheux emprunts aux doctrines saint-simoniennes : c’est la réhabilitation de la chair, comme on disait alors, qui est la morale de ce récit. Dès les premières pages, nous assistons à une conversation où les principes de l’auteur sont nettement formulés. M. de Gentz, Frédéric Schlegel, Rahel de Varnhagen, tous les brillans personnages du livre, reviennent d’une représentation d’Egmont : réunis dans un salon, ils dissertent sur la morale et sur l’amour.

  1. Prinz Louis-Ferdinand (le Prince Louis-Ferdinand), par Mlle Fanny Lewald ; 3 vol. Breslau.