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de cette grace morale, de cette tranquillité vraiment allemande dont nous sommes privés depuis si long-temps. Enfin, son arrivée à l’université et les rêves étranges qui l’obsèdent pendant ces jours heureux de jeunesse et d’études forment la conclusion parfaite de toutes ces confidences. Un intéressant appendice raconte les dernières années de son frère George, qui est comme le personnage héroïque de cette familière histoire, et dont la mâle et vaillante figure traverse gravement tout ce monde de fantômes, de personnages bizarres et de réminiscences enfantines.

M. Justinus Kerner a l’intention de nous donner ses mémoires complets. Sa jeunesse et son âge mûr doivent lui fournir aussi des peintures charmantes, des révélations inattendues ; seulement, il a craint d’être arrêté en route, car il sent déjà le poids des années, et il a détaché d’abord le Livre d’images de son enfance. Puisse l’aimable écrivain réaliser son vœu ! Fidèle à la recherche de l’idéal, M. Kerner est un des rares représentans de cette vieille Allemagne qui semble descendue pour toujours au tombeau. Ses livres nous apportent comme un parfum de cette antique sève du spiritualisme qui jadis s’épanouissait dans ce pays en des fleurs sans nombre ; ils nous inspirent de consolantes espérances, ils nous font croire que toutes les sources ne sont pas taries, et qu’après le passage des vents de mort, les vallées de la Souabe vont fleurir et chanter comme autrefois.

Dois-je louer M. Justinus Kerner d’avoir si bien échappé aux influences mauvaises ? Peut-être l’aimable poète a-t-il en cela moins de mérite qu’un autre ; son école a pour domaine les vallées printanières, et quant à lui particulièrement, on a vu quelles songeries occupent son ame. Je voudrais savoir comment les romanciers et les poètes de l’Allemagne nouvelle ont subi le choc des révolutions. Le résultat du travail littéraire de 1830 à 1848 avait été un mélange habile d’imagination et de réalité ; si on avait renoncé d’abord au mysticisme de l’ancienne Allemagne, on s’était efforcé peu à peu de ne pas rejeter pour cela les conditions élevées de la poésie, et, lorsque les événemens de 1848 éclatèrent, un mouvement heureux, dont M. Berthold Auerbach semblait être le chef, inaugurait dans les lettres allemandes l’alliance de l’art et de la vie réelle. Ce résultat, poursuivi à travers tant de phases diverses et qui avait échappé tour à tour aux fantaisies de la jeune Allemagne et aux bruyantes émeutes de la poésie politique, M. Auerbach paraissait l’avoir atteint dans ses Scènes de village. Était-ce pourtant une conquête durable ? Cette jeune poésie était-elle assez forte, assez sûre d’elle-même pour suivre sa route sans dévier ? Ces paysans que M. Auerbach peignait avec tant de vérité et de grace ne couraient-ils pas le danger de devenir, au milieu de l’effervescence des partis, des tribuns et des prédicans ? L’épreuve a été faite ; M. Auerbach, a