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conservé encore une apparence de christianisme ; de là les nouveaux systèmes de M. Bruno Bauer, de M. Feuerbach et de M. Stirner. Edelmann n’eût pas mérité ce reproche : dès le milieu du XVIIIe siècle, il parcourut spontanément toutes les phases qu’a traversées de nos jours le panthéisme hégélien. Un jour, à Neuwied, il fut sommé par le consistoire de publier sa profession de foi ; il la fit avec une audace inouie et abjura non-seulement le christianisme, mais toute espèce et toute forme possible de religion. Il eut bientôt une nouvelle occasion de proclamer ses principes. Un ministre protestant, Haremberg, l’avait attaqué avec violence : Edelmann riposta par une brochure bizarrement intitulée Réponse à la première épître de saint Haremberg, et cette réponse était l’exposition la plus complète du panthéisme, tel que l’entendent MM. Feuerbach et Stirner, c’est-à-dire d’un athéisme déclaré. On devine aisément le scandale que produisaient de tels écrits. L’Allemagne n’était pas, comme aujourd’hui, familiarisée avec des doctrines de cette nature, Spinosa y était encore peu répandu, et l’on était bien loin des successeurs de Hegel. Edelmann fut repoussé de tous côtés ; errant, suspect, il vécut misérable, et fut bientôt oublié de tous, excepté de la police et de la censure. Son dernier écrit, paru en 1759, est un dictionnaire des libres penseurs ; il l’écrivit à Berlin, où il avait pu trouver un asile, et mourut sept ou huit ans après, absolument inconnu de ce monde qu’il avait naguère troublé. L’erreur, aussi bien que la vérité, doit arriver à point pour produire son effet. Les étranges incartades de ce théologien furent inutiles à sa mémoire : son nom disparut, ses ouvrages moisirent dans la poussière, et c’est grace à une circonstance toute fortuite que les jeunes hégéliens purent se rattacher à leur ancêtre. Au moment où la Vie de Jésus du docteur Strauss agitait l’Allemagne savante, un M. Elster publia en 1839 un curieux ouvrage intitulé Souvenirs, où les théories d’Edelmann étaient confrontées avec celles du docteur Strauss. Ne croyez pas que M. Strauss ait été fâché alors de ce rapprochement : dans sa Dogmatique, publiée peu de temps après, il remercia l’écrivain érudit qui l’avait mis sur la trace d’un penseur aussi intéressant qu’Edelmann. Dès-lors Edelmann fut signalé à l’attention des historiens. Seulement les détails manquaient sur sa vie ; c’est cette lacune que vient de combler M. le docteur Klose. La bibliothèque de Hambourg possédait le manuscrit d’une autobiographie d’Edelmann ; M. Klose l’a publiée et nous a donné ainsi les mémoires d’un théologien athée au XVIIIe siècle.

L’habile éditeur nous raconte dans sa préface les scrupules qui l’ont plus d’une fois arrêté. Il lui en coûtait d’associer son nom au nom d’Edelmann, il craignait aussi le mal que cette publication pouvait faire ; mais pourquoi de tels scrupules ? ajoute-t-il spirituellement. Est-ce qu’on ne rencontre pas chaque jour des écrivains comme celui-là ? Un jeune hégélien de plus ou de moins dans l’Allemagne d’aujourd’hui,