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de préférence, dès le temps de Covarruvias, le mode de représentation qui a prévalu, et dans lequel le joueur, placé dans l’intérieur de sa baraque (castillo) et retranché derrière le repostero, fait mouvoir tous les acteurs et prête alternativement sa voix à tous à l’aide du sifflet-pratique appelé pito. Cependant, en lisant avec attention le passage assez obscur de ce roman picaresque, je crois y voir l’indication d’un procédé de représentation qui tenait le milieu entre les deux systèmes, celui des marionnettes muettes et celui des marionnettes qui sont supposées parlantes. L’orateur des titeres, le declarador, comme dit Cervantes, ne se bornait pas à un récit, ni à ce que Francisco de Ubeda appelle une arenga titerera ; il mêlait à sa narration des dialogues. Ces diverbia ou petits discours prêtés aux personnages, et prononcés à l’aide du pito, se nommaient la platica, d’où nous avons probablement tiré notre mot pratique ou sifflet de la pratique[1].

Je traduis le passage de la picara Justina, quoiqu’il contienne quelques singularités pour lesquelles je demande grace au lecteur : « Mon bisaïeul, dit-elle, a tenu à Séville un théâtre de marionnettes ; jamais on n’en avait encore vu dans cette ville qui eussent une garde-robe aussi bien fournie et un mobilier de théâtre aussi complet. Ce brave homme était de petite taille, et pas beaucoup plus grand que du coude à la main, de sorte qu’entre lui et ses marionnettes toute la différence était de parler avec ou sans pratique (cerbatana). Quant à prononcer la harangue et à fournir à la conversation des marionnettes (la platica), c’était tout une autre affaire. Il avait la langue bien affilée et vive comme un pinson ; sa bouche était si grande, qu’on aurait cru que sa langue pouvait y faire le moulinet. On avait tant de plaisir à le voir débiter sa harangue de directeur de marionnettes[2], que, pour l’ouïr, les marchandes de fruits, de châtaignes et de gâteaux d’amandes (turroneras) couraient, entraînées à sa suite, ne laissant, pour garder leur boutique, que leur chapeau ou leur chaufferette[3]. »

Depuis long-temps, toutes les villes d’Espagne de quelque importance ont un théâtre de marionnettes établi dans une salle ordinairement assez grande et assez commode, où se réunit un auditoire composé des classes de la société les plus diverses. Dans ce pays d’extrême inégalité légale, il règne dans les mœurs tant de véritable égalité pratique, que personne ne s’aperçoit du contraste. Un de nos plus illustres savans, conduit par d’importans travaux à Valence en 1808, assista un soir à une représentation de marionnettes où l’attitude passionnée et turbulente de l’assemblée, demi-aristocratique et demi-populaire, n’attira pas moins son attention que le jeu des petits acteurs. On représentait

  1. Peut-être dit-on aussi en Espagne el pito de la platica, le sifilet de la pratique.
  2. El verle hazer la arenga titerera. Il n’était donc pas caché derrière le repostero.
  3. El libro de entretenimiento de la picora Justina, etc. Ibid.