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Paris ; aussi rien de plus plat que les comédies. Le rire s’est réfugié aux marionnettes, qui jouent des pièces à peu près improvisées… J’ai passé au palais Fiano une soirée fort agréable ; le théâtre sur lequel les acteurs promènent leur petite personne peut avoir dix pieds de large et quatre de hauteur… Les décorations sont excellentes et soigneusement calculées pour des acteurs de douze pouces de haut. »

Après cette description flatteuse du matériel, M. Beyle passe aux acteurs et à la pièce :

« Le personnage à la mode parmi le peuple romain, dit-il, est Cassandrino. Cassandrino est un vieillard coquet de quelque cinquante-cinq à soixante ans, leste, ingambe, à cheveux blancs, bien poudré, bien soigné, à peu près comme un cardinal. De plus, Cassandrino est rompu aux affaires, et brille par l’usage du monde le plus parfait ; ce serait, en vérité, un homme accompli, s’il n’avait le malheur de tomber régulièrement amoureux de toutes les femmes qu’il rencontre… Vous conviendrez qu’un pareil personnage n’est pas mal inventé pour un pays gouverné par une cour oligarchique, composée de célibataires, et où le pouvoir est aux mains de la vieillesse… Il va sans dire qu’il est séculier ; mais je parierais que dans toute la salle il n’y a pas un spectateur qui ne lui voie la calotte rouge d’un cardinal, ou tout au moins les bas violets d’un monsignore. Les monsignori sont, comme on sait, les jeunes gens de la cour du pape, les auditeurs de ce pays ; c’est la place qui mène à toutes les autres… Rome est remplie de monsignori de l’âge de Cassandrino, qui n’ont pas fait fortune et qui cherchent des consolations en attendant le chapeau. »

La pièce que vit représenter ce soir-là notre spirituel narrateur était Cassandrino allievo di un pittore, Cassandrino élève en peinture. C’est, comme on va voir, ce que nous appellerions une pièce hardie. Un peintre de Rome a beaucoup d’élèves et une fort jolie soeur. Cassandrino, dont vous connaissez la position et l’humeur, s’introduit chez cette jeune dame, et, n’osant à cause de son âge hasarder une déclaration trop claire, la prie de lui permettre de chanter une cavatine qu’il a entendue dans un concert. La cavatine exécutée ce soir-là devant M. Beyle était un des plus jolis morceaux de Paësiello, et fut chantée à merveille dans la coulisse par la fille d’un savetier. L’amoureux entretien est troublé par le frère de la belle, le jeune peintre, qui porte des favoris énormes et des cheveux bouclés fort longs ; c’est le costume obligé des gens de génie. Cassandrino est rudement congédié, et la demoiselle vertement semoncée pour avoir reçu en tête-à-tête un homme qui ne peut pas l’épouser. Ce trait est applaudi à toute outrance. Au second acte, Cassandrino revient chez le peintre, mais habillé en étudiant : il a mis des favoris noirs, seulement il a oublié ses boucles poudrées à blanc sur l’oreille. Il emploie cette fois près de sa maîtresse les argumens irrésistibles : il est riche, et lui offre de partager sa fortune. « Nous vivrons heureux, lui dit-il, et personne ne connaîtra