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3 à 6 sous. Ces fantoccini d’un ordre supérieur diffèrent totalement de leurs confrères ambulans. Ils ne sont pas, comme les pupazzi des places publiques, mus simplement par la main du joueur, cachée sous leurs habits ; ils obéissent à des fils ou à des ressorts. Ils ne sont pas non plus taillés dans le bois de la tête aux pieds. Leur chef est ordinairement de carton ; leur buste et leurs cuisses sont de bois, leurs bras de cordes ; leurs extrémités (à savoir, les mains et les jambes) sont de plomb ou garnies de plomb, ce qui leur permet d’obéir à la moindre impulsion donnée, sans perdre leur centre de gravité. Du sommet de leur tête sort une petite tringle de fer qui permet de les transporter aisément d’un point de la scène à un autre. Pour dérober aux spectateurs la vue de cette tringle, ainsi que le mouvement des fils, on a imaginé de placer devant l’ouverture de la scène un réseau, composé de fils perpendiculaires, très fins et bien tendus, qui, en se confondant avec ceux qui font agir les pantins, déroutent l’œil le plus attentif. Par une autre invention plus ingénieuse encore, on fait passer tous les fils, hormis ceux des bras, par l’intérieur du corps ; ils en sortent par le haut de la tête, où ils se réunissent dans un mince tuyau de fer creux qui sert en même temps de tringle. Enfin, un système tout différent a été introduit plus tard par Bartolomeo Neri, peintre et mécanicien distingué. Ce procédé consiste à établir sur le plancher de la scène des rainures dans lesquelles s’emboîte le support de chaque marionnette. Des contre-poids ou un machiniste placé sous le théâtre dirigent ces supports et font jouer les fils. Ces divers systèmes, quelquefois combinés ensemble, sont arrivés à obtenir les tours de force les plus surprenans.

Passant à Gênes en 1834, un de nos compatriotes se fit conduire aux burattini établis rue des Vignes (au teatro delle Vigne). Il vit représenter dans une salle un peu fanée, mais d’ailleurs assez jolie, un grand drame militaire, la Prise d’Anvers, où le maréchal Gérard et le vieux général Chassé luttaient de phrases ronflantes, de roulemens d’yeux et d’héroïsme[1].

À Milan, les fantoccini du théâtre Fiando sont aussi célèbres et aussi visités des étrangers que le dôme, l’arc du Simplon ou la châsse de saint Charles. Dès 1823, un correspondant du Globe nous en avait donné des nouvelles : « Telle est, disait-il, la justesse des mouvemens de ces petits acteurs ; leur corps, leurs bras, leur tête, tout marche avec tant de mesure et dans un si parfait accord avec les sentimens exprimés par la voix, qu’aux dimensions près j’aurais pu me croire dans la rue de Richelieu. Outre Nabucodonosor, tragédie classique,… on représenta un ballet anacréontique dessiné à la Gardel. Je voudrais que les danseurs de l’Opéra, si fiers de leurs bras et de leurs jambes, pussent voir

  1. Voy. De Paris à Naples, pr M. Jal, t. I, p. 234-237.