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et des soupirs… Ce deuil si juste servit de catastrophe et mit fin à mon sermon, à la suite duquel quatre religieux prindrent le crucifix enveloppé dans un beau drap de fin lin, et fut porté sur la pierre d’onction, où le corps précieux, à tel jour, avoit été embaumé par Nicodème et Joseph[1].

On ne se servit pas seulement, au moyen-âge, de la statuaire mobile pour représenter les scènes de la Passion ; on l’employa encore dans les églises, tant séculières que monastiques, pour figurer, aux diverses fêtes de l’année, toutes les actions du Sauveur, celles de la Vierge, les vies des saints patrons et les légendes des martyrs. Cet emploi de la statuaire mécanique s’est perpétué dans les églises, particulièrement en Italie et en Espagne, presque jusqu’à nos jours, malgré les prescriptions canoniques contraires, et notamment celles du concile de Trente. Dans un synode tenu à Orihuela, petit évêché suffragant de l’archevêché de Valence, on fut obligé de renouveler, au commencement du XVIIe siècle, la défense d’admettre dans les églises les statuettes de la Vierge et les images des saintes frisées, fardées, couvertes de bijoux et vêtues de soie, comme des courtisanes. Jubemus, dit le chapitre 14, imagunculoe parvœ, fictili opere confectoe et fuco consignatœ, si vonitatem et profanitalem proebeant, ad altare ne admoveantur in posterum[2]. On voit que la défense n’était que conditionnelle et laissait ainsi une large porte ouverte à l’abus, qui en effet continua. Que si quelqu’un de ceux qui me lisent doutait qu’il fût ici question des marionnettes proprement dites, qu’on nommait en Espagne titeres, cet autre passage du même chapitre ferait cesser tous les doutes : « Nous défendons que dans les églises ou ailleurs on représente les actions du Christ, celles de la très sainte Vierge et les vies des saints, au moyen de ces petites figures mobiles, imagunculis fictilibus, mobili quadam agitatione compositis, que l’on appelle vulgairement titeres, quas titeres vulgari sermone appellamus. »


III. – LES SCULPTEURS MECANICIENS TAXES DE MAGIE AU MOYEN-ÂGE.

Dès le XIe siècle, plusieurs prélats et abbés s’étaient vivement, mais inutilement élevés contre la statuaire mécanique, qui, rappelant pour ainsi dire à la vie les saints et les martyrs, leur semblait une sorte de coupable évocation des morts et un acte de nécromancie. Un jour de l’année 1086, le saint abbé Hugues, étant venu en l’abbaye de Clugny pour donner l’investiture à cinquante-cinq novices, se détourna tout à coup d’un de ceux qu’on lui présentait, et lui refusa la bénédiction. Quand on lui demanda le motif de cette rigueur, il répondit

  1. Le père Boucher a donné à son voyage le titre bizarre de Bouquet sacré des plus belles fleurs de la Terre Sainte. Notre citation est tirée du chapitre XIII.
  2. Synodus Oriolana, celebrata anno 1600 ; cap. 14, ap. Collect. maxirn. Concilior, Hispaniœ et Novi Orbis ; Romae, 1693 ; t. IV, p. 718-719.