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VOYAGE ARCHÉOLOGIQUE EN PERSE.

sur le portique ou sur le petit perron. Ici le sculpteur a figuré des gardes armés de lances, qui semblent veiller sur les entrées du palais.

J’en étais là de mes recherches et de mon exploration au milieu de ces ruines, quand je vis s’approcher de moi un homme d’un aspect étrange. Le hâle et le soleil avaient noirci sa peau. Ses cheveux fort longs tombaient en grosses mèches sur ses épaules, couvertes d’une peau de tigre. Il était coiffé d’un bonnet pointu en feutre jaune. Ses bras et ses jambes étaient nus, ainsi que sa poitrine, sur laquelle était suspendu, dans un étui de cuir noir, un large talisman. Il tenait, pendue à l’un de ses bras par une chaîne de cuivre, une espèce de grande tasse faite d’une noix de l’Inde coupée en deux. Cette tasse contenait quelques pièces de menue monnaie et un peu de miel qu’il m’offrit. C’était une manière de me demander l’aumône, tout en paraissant me faire un cadeau. Cet homme étrange, dont le regard fauve et vitreux avait quelque chose de hagard, était ce que les Persans appellent un derviche et les Indiens un fakir, c’est-à-dire un pauvre diable sans feu ni lieu, vivant de charité et voyageant, un bâton à la main, du Tigre à l’Indus et du golfe Persique au Caucase. Cette espèce de gens, qui sont presque tous d’insignes voleurs et d’ignobles débauchés, passent pourtant auprès des dévots pour de saints personnages en qui Dieu a soufflé son esprit, et qui ont leur place marquée parmi les houris de Mahomet. La superstition orientale leur accorde de nombreux privilèges : c’est ainsi qu’on vante les philtres mystérieux au moyen desquels ils guérissent, dit-on, la morsure des serpens et des scorpions. Ils passent pour avoir des recettes contre tous les maux. Les femmes les consultent sur leur stérilité, les hommes sur leur impuissance. Généralement redoutés à cause de leurs maléfices et des mauvais sorts qu’on leur attribue la puissance de jeter, ils sont traités partout avec les plus grands égards ; ils viennent même librement et de leur pleine autorité s’installer dans la demeure qu’il leur plaît de choisir, sans qu’on ose les en chasser. Il faut alors aller au-devant de leurs besoins et satisfaire même tous leurs caprices. Au cri de Ya-Ali ! qui est leur invocation habituelle, répété jusqu’à mille fois dans un jour, ils se font donner tout ce qu’ils veulent. J’en ai connu un qu’on appelait derviche-châh, parce qu’il s’était imposé au roi. Il ne quittait jamais la demeure royale, il suivait le châh en tout lieu ; il avait sa tente et jusqu’à sa mule ou son cheval pour accompagner le roi partout. C’était le plus grand vaurien possible : ivrogne, mécréant, joueur, débauché, il réunissait tous les vices imaginables. Il n’en était pas moins un saint, et quelque jour on lui élèvera peut-être un tombeau, qu’on décorera du nom d’imam, en témoignage de profonde vénération.

Ces derviches ou fakirs font vœu de pauvreté ; mais, d’après ce qu’ils ont droit d’exiger, on conçoit que c’est pour eux chose facile, puisqu’ils