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d’abord à la place où il avait laissé son père. Il était nuit ; un silence absolu régnait dans la forêt. Au signal que fit le Canadien en s’avançant au bord de l’eau, de manière à être entendu de ceux qui seraient cachés dans l’île, personne ne répondit. Surpris et inquiet, il chercha la pirogue dans les joncs et ne la trouva pas… Peut-être Étienne avait-il ramené son père à la cabane. Il s’y rendit le plus vite qu’il put ; la fatigue l’accablait, mais il voulait à tout prix éclaircir ce mystère, qui commençait à l’épouvanter. La cabane, dévastée par le feu, ne présentait plus qu’un amas de poutres calcinées. À la vue de ce désastre, le grand Canadien, en proie à des angoisses mortelles, tomba à genoux et se prit à pleurer comme un enfant. Qu’étaient devenus ceux qu’il cherchait ? Vivaient-ils encore ? Se lancer seul à travers les bois qui recélaient un invisible ennemi, c’eût été courir à une mort inutile et certaine. Il lui sembla plus sage de revenir près du planteur, lui demander aide et assistance. Quand il parut sur le seuil de la porte, abattu par cette marche forcée, mourant de faim, d’inquiétude et de fatigue, Marie fut près de s’évanouir. Le planteur, en voyant ce grand homme, le visage baigné de larmes, hâve et éperdu, se sentit tout bouleversé. Sans pouvoir s’expliquer la disparition des deux Canadiens, le colon et sa fille comprirent qu’un grand malheur venait d’arriver. Au lieu de prodiguer à Antoine de vagues consolations, le planteur l’engagea à réparer ses forces en prenant un peu de nourriture et à se reposer pendant quelques instans. — Dans trois heures, lui dit-il, nous serons à cheval, vous et moi ; quatre noirs de confiance nous accompagneront, et, s’il plaît à Dieu, nous trouverons ceux qui manquent à l’appel.

Dès que l’aube parut, ils furent sur pied. Ils dirigèrent d’abord leurs recherches dans les environs de la cabane détruite. Les gens qu’ils rencontrèrent en route ou qu’ils allèrent interroger chez eux n’avaient rien vu, rien entendu. Les sauvages, assuraient-ils, ne s’étaient pas plus montrés là qu’ailleurs ; il n’y avait pas une femme, pas un enfant, qui ne fût remis de la panique des jours précédens.

— J’ai pourtant ouï leurs hurlemens, répétait Antoine ; ils ont brûlé notre case. Ah ! les sauvages, les sauvages !… ils ont égorgé mon père ! — Et chacun se disait en l’écoutant : Il a perdu la tête, le grand Canadien !

Lorsqu’Antoine, le planteur et les noirs de leur suite se mirent en route pour fouiller le bois, le vieux Faustin et son jeune fils Étienne couraient déjà depuis plus de vingt-quatre heures sans savoir où, poursuivis par les cris sinistres que l’Indien lance dans les airs comme une menace de mort. Depuis les bords de la rivière Rouge qu’ils avaient quittés précipitamment, n’ayant point retrouvé leur pirogue à sa place