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au plus vite de régler leurs affaires. Ils avaient hâte de retourner à leur case ; mais comment sortir des magasins où l’on trouve tout, des miroirs et de la poudre, des bottes et des cordes à violon, des soieries et des peaux de buffle, des verroteries et des chapeaux, où l’on verse le grog à discrétion, où l’on place devant l’acheteur une caisse d’excellens cigares en l’invitant à y puiser sans relâche ? Et puis il fallait causer : les voisins, les concurrens mêmes venaient prendre part à la conversation aussi bien qu’aux rafraîchissemens. Le soleil se couchait, que les Canadiens n’avaient rien terminé encore, et ne savaient plus au juste ce qu’ils étaient venus acheter.

Antoine parlait peu, et ces flâneries ne l’amusaient pas long-temps. Il pressait donc son père de partir, quand un tourbillon de poussière qui s’élevait à l’horizon et un grand bruit de chariots attirèrent l’attention des habitans du village. On sortit des tavernes et des magasins pour voir défiler le convoi qui venait du Mexique ; les bœufs haletans traînaient d’un pas lent et fatigué les lourdes charrettes qui se rangèrent bientôt le long de la rivière. Tandis que le chef de la troupe cherchait un emplacement favorable pour y décharger ses balles de coton et ses ballots de pelleterie, les négocians l’entouraient en lui faisant mille prévenances, impatiens d’entrer en marché avec lui. Les bouviers, — les engagés, comme on les appelait d’après un vieux mot emprunté à la langue des flibustiers, — appuyés d’une main sur leurs longs aiguillons, de l’autre sur la corne de leurs boeufs, attendaient qu’on leur donnât le signal de dételer. C’étaient de grands hommes hâlés, au teint couleur de poussière, vêtus de peau de daim des pieds à la tête. Ils parlaient un peu l’espagnol, mal l’anglais, très mal le français, et parfaitement la langue des sauvages, ce qui n’empêchait pas les créoles de les comprendre. Bientôt même on apprit d’eux que les Comanches, les plus redoutés d’entre les Indiens de la Prairie, avaient étendu leurs incursions dans les plaines du Texas, entre Nagodoches et Santa-Fé, et semblaient vouloir pousser leur marche jusqu’à la Sabine.

La frontière étant assez mal gardée du côté des provinces mexicaines, cette nouvelle ne laissa pas que de causer une certaine inquiétude parmi les colons. Les jeunes gens riaient de ces appréhensions qu’ils traitaient de chimériques ; les vieillards, évoquant d’anciens souvenirs, inclinaient à croire que les Indiens viendraient faire le coup de main, comme ils disaient dans leur naïf langage. Bien que ses fils ne fussent nullement émus de cette rumeur, le vieux Faustin partageait l’opinion des gens de son âge, et il partit dans un état d’agitation que des symptômes de fièvre rendaient assez alarmant. Peu à peu cependant l’aspect des bois lui rendit sa sérénité accoutumée, et, quand il rentra dans sa cabane, escorté de ses deux grands fils pleins de jeunesse et