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de la fête, et les bruits de la danse arrivaient jusqu’à son oreille, mêlés au frissonnement de la brise dans la cime des bois. Cette noce de Gamache mettait en mouvement une trentaine de noirs ; les uns, occupés des apprêts du festin, tournaient des broches au fond de la cour, les autres attachaient aux arbres voisins les chevaux des conviés. Quelques Indiens accroupis autour des chaudières, guettant, eux et leurs chiens, les restes du repas, remplissaient le rôle de mendians et de bohémiens. Les fenêtres de la maison restaient ouvertes, car, malgré la fraîcheur de la nuit, l’air eût manqué à la foule qui se pressait dans les appartemens.

Blotti derrière un arbre, Antoine considérait ce spectacle animé, cette réjouissance à laquelle tout le monde prenait part, qui l’attirait et le repoussait en même temps. Quelquefois Marie venait respirer à la croisée ; il la reconnaissait entre toutes ses compagnes. Au milieu des têtes qui se balançaient au mouvement de la danse, il retrouvait toujours celle de Marie ; il distinguait l’éclat de son rire, l’accent de sa voix ; elle exceptée, cette réunion de jeunes filles gracieuses ne lui présentait qu’un tourbillon confus. Quand elle plongeait son regard dehors, comme pour reposer ses yeux fatigués de la lumière, il craignait qu’elle ne le découvrît dans sa cachette et s’enfonçait plus avant sous les branches. Une partie de la nuit s’écoula sans qu’il pût faire autre chose que rôder autour de la noce. Lorsque les anciens, qui n’avaient cessé de fumer sous la galerie, laissant danser et rire la jeunesse, commencèrent à brider leurs chevaux pour retourner chez eux, le grand Canadien s’éloigna au plus vite, comme un oiseau nocturne qui redoute d’être surpris par le jour. Un des Indiens qui bivouaquaient dans la cour, le voyant passer, appuya sa tête sur ses deux mains, le regarda fixement, et fit entendre un rire étrange qui ressemblait au sifflement du chat sauvage.


V

Six mois après, au commencement de l’été, les trois Canadiens se rendirent au village. Cette fois le planteur ne les attendait point au bord de la rivière, prêt à les arrêter au passage ; des fièvres violentes s’étant déclarées au printemps dans tout le pays, il avait émigré avec sa fille vers les hautes terres. Beaucoup de familles étaient allées, à leur exemple, s’établir dans les bois, afin d’échapper aux influences malignes qui désolaient les plantations. Il faisait une chaleur accablante ; les Canadiens ramaient le plus près possible du rivage, afin de se tenir à l’ombre des grands arbres. Arrivés au quai du village, ils y amarrèrent leur voiture, — on appelait ainsi les bateaux dans ce pays ; où l’on ne connaissait point d’autre route que les fleuves, — et s’occupèrent