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qui la lança jusqu’au milieu de la rivière. Antoine, comme un oiseau pris au piège, jeta autour de lui un regard rapide, puis reporta sa vue sur l’esquif près de disparaître derrière une île.

— Allons, dit Marie, vous voilà notre prisonnier, monsieur Antoine. La pirogue est partie tout de bon… Croyez-moi, venez prendre votre part du dîner qui nous attend.

Le lendemain matin de bonne heure, le planteur était sur pied, le fusil sous le bras ; Antoine, accoutré en batteur d’estrade, portant en sautoir la corne de bœuf remplie de poudre, les guêtres de peau de chevreuil et la courte blouse de flanelle grise, l’attendait dans la cour. Ils se mettaient en route et traçaient déjà le plan de l’expédition, quand Marie, montée sur un joli petit cheval noir de race mexicaine, vint les rejoindre au galop.

— Eh bien ! mon père, s’écria-t-elle, attendez-moi donc… Je veux être de la partie… Allez où vous voudrez, je vous suis.

— En ce cas, adieu la chasse, murmura Antoine en s’appuyant sur sa carabine, qui lui venait jusqu’au menton.

— Est-ce que je vous gêne, monsieur Antoine ? demanda la jeune fille.

— Je ne dis pas cela, répondit le grand Canadien ; nous irons nous promener autour des champs de coton, dans les sentiers battus ; il se peut que nous rencontrions par là des colibris et des moineaux…

— Marie, interrompit le colon, comment pourriez-vous nous suivre dans les halliers où nous allons nous engager ? Vous laisserez votre voile aux ronces des buissons, vous vous déchirerez les mains et le visage aux épines des acacias ; votre cheval finira par s’ennuyer des coups de fusil et fera des écarts… Voyons, soyez raisonnable… restez…

— Eh bien ! chassez, messieurs, chassez à votre aise, répliqua Marie en donnant un coup de cravache à son poney ; au moins vous me permettrez de faire un temps de galop dans le bois, n’est-ce pas, mon père ?

Et elle disparut dans le feuillage.

L’automne tirait à sa fin ; les pluies d’octobre avaient rempli les lacs et les étangs. Les lianes, flétries par le soleil brûlant de l’été, se couvraient de pousses nouvelles et serraient d’une étreinte plus vive les troncs noueux des grands arbres. À travers les feuilles sèches qui jonchaient les sentiers, une herbe verte et longue sortait de terre et se balançait doucement à la brise. L’érable avait pris la teinte empourprée qu’il revêt à l’arrière-saison, et, sous les premiers rayons du jour, ses tiges serrées brillaient comme des lames de cuivre rouge. Aucun nuage n’altérait l’azur profond du ciel : c’était un second printemps, moins riant, moins fleuri, plus mélancolique que le premier. Le caïman, près de s’endormir du sommeil léthargique dans lequel il reste plongé pendant l’hiver, venait à la surface des étangs respirer l’air