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des matières qui appartiennent à l’histoire générale de la France, se fût borné à nous initier aux détails intimes de l’édilité parisienne, et à faire connaître, la succession des ordonnances et des règlemens qui, d’améliorations en améliorations, ont fondé l’ordre admirable que nous voyons aujourd’hui, son livre aurait eu son originalité propre ; peut-être n’eût-il fait qu’un volume au lieu de deux, c’est possible ; mais un volume lu et recherché ne vaut-il pas mieux que dix laissés sur les rayons ?

Sous le bénéfice de cette observation générale, nous reconnaîtrons volontiers que M. Frégier s’est montré un compilateur érudit, et qu’il a mis en lumière des recherches de plus d’un genre qu’apprécieront les amateurs d’archéologie historique. Dans le cadre un peu trop vaste, nous venons de le dire, qu’il s’est donné, il a retracé l’histoire des progrès de la civilisation parisienne à travers les agitations, les accidens et les guerres civiles dont la capitale de la France a été le théâtre, et il a su revêtir ces récits tant de fois répétés d’une certaine couleur locale qui naît de la peinture des mœurs et de la vie usuelle. On se rend, en effet, plus exactement compte des tumultes populaires et de l’anarchie du moyen-âge quand on connaît l’organisation des diverses corporations de la ville de Paris à cette époque ; la clé de plus d’un événement considérable se trouve dans la connaissance des habitudes de la population, noblesse, bourgeoisie, écoliers, etc. En relisant ces chroniques lamentables de la ville de Paris, cette succession de prises d’armes et de massacres qui compose son histoire depuis les maillotins, les Armagnacs, la ligne et la fronde jusqu’à l’émeute de nos jours, quand on songe qu’il n’est pas un emplacement de ce terrain que nous foulons où l’on ne puisse retrouver quelque tache de sang, ne peut-on à bon droit se demander si la guerre n’est pas l’état normal de notre société inquiète, et si les intervalles de calme et de repos ne doivent pas être considérés comme de rares exceptions sur lesquelles il est dangereux de fonder un long espoir ? Les périodes trop paisibles, comme celle qui a précédé la première révolution ou les trente années qui ont suivi les grandes guerres de l’empire, amollissent la fibre nationale et enfantent des générations que le moindre bruit étonne, et qui, incapables de lutter quand vient l’orage, savent tout au plus trouver la force de mourir.

Il convient de signaler dans le livre de M. Frégier quelques chapitres sur les principes suivis aux diverses époques par la législation de la police des subsistances, comme aussi les règlemens de l’hygiène publique. Les besoins qui ont donné naissance aux mesures qu’il décrit sont toujours les mêmes, ou plutôt ils se sont accrus. Or, comme le fait justement remarquer l’auteur, les questions d’approvisionnement ayant de tout temps été grosses de séditions, aujourd’hui plus que jamais l’attention de l’autorité doit y être attirée, et la police ne saurait s’entourer d’assez de documens et de lumières pour prévenir les dangers dont elles pourraient être la cause dans des momens pareils à ceux où nous sommes. Sous ce rapport, on ne saurait mieux s’adresser qu’à M. Frégier, que sa position dans l’administration de la police a mis à même de compulser les curieuses archives de ce département en y ajoutant les lumières de son expérience personnelle, d’un jugement sain et d’un esprit droit.



V. DE MARS.