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lui assurent une majorité complaisante ; la majorité vote de quoi la rétribuer. Il y a tel emprunt destiné aux frais de la guerre qui, contracté pour la somme nominale de 5 millions de livres, n’en rapporte que deux et demi à l’échiquier, tant on a dû solder en route de courtiers et d’intermédiaires, et c’est à des millions que se montent les sommes dont on ne peut rendre compte. Chaque conscience a son tarif qui, d’intervalle en intervalle, est scandaleusement révélé. Un membre des communes est chassé de la chambre pour avoir notoirement accepté un cadeau de 21 livres ; le duc de Leeds est accusé de haute trahison pour en avoir reçu 5,500. La voix du speaker, sir John Trevor, était cotée à 1,005 guinées. De degrés en degrés, cet abominable mercantilisme semblait avoir gagné toute la nation. Les receveurs du trésor gardaient ses fonds et les plaçaient à intérêts chez les orfèvres, et toute affaire publique devenait une spéculation privée, un bon coup, un job, dans les mains de ceux qui l’entreprenaient. Voilà le dessous des cartes du jeu que jouait Guillaume III.

Il fut, comme on sait, continué par Walpole, et Walpole eut des successeurs qui l’imitèrent beaucoup plus qu’on ne le sait ordinairement. Le traité de Paris conclu en 1763 cédait à l’Angleterre nos belles colonies de l’Amérique. L’Angleterre avait cependant pris un tel goût à la guerre qu’elle faisait si glorieusement, que l’opinion presque unanime était contre la paix. La paix fut encore achetée à prix d’argent au sein du parlement. « Il n’y avait que cela qui pût surmonter la difficulté, écrit le secrétaire particulier du comte de Bute. J’ai été moi-même le canal par où l’argent a passé ; j’ai de ma main acquis plus de cent vingt votes dans cette question délicate. 80,000 livres avaient été consacrées à cette destination : quarante membres de la chambre des communes ont reçu de moi 1,000 livres chacun ; les quatre-vingts autres ont été payés 500 livres la pièce. » Les mêmes ressources servent pendant bien des années encore ; on en vient à faire de ces sommes livrées aux membres du parlement une sorte de pension régulière, d’annuité secrète. Un autre distributeur de ces coupables largesses nous en livre le secret : « Je me plaçais, dit-il, dans la cour des requêtes le jour de la prorogation du parlement, et, à mesure que les gentlemen passaient devant moi en entrant à la chambre ou en sortaient, je leur glissais l’argent dans une poignée de main. »

Pourquoi recueillir ici ces souvenirs affligeans, qui certes ne tournent pas à l’honneur du gouvernement parlementaire ? Il n’y a jamais eu que de jeunes sous-préfets, désireux de se poser en Machiavels dans les salons de leurs sous-préfectures, qui aient inventé de proclamer la corruption comme un instrument essentiel à tout régime où le pouvoir exécutif est contrôlé par un pouvoir délibérant. La corruption aboutit fatalement à la ruine des forces publiques comment se fait-il qu’en s’attaquant à l’Angleterre, elle n’y ait pas plus entamé les principes constitutifs et la robuste membrure de l’état ? C’est là le second point qu’on peut étudier facilement dans le livre de M. Francis. À côté de ce regrettable désordre qui compromet et gâte les rapports des pouvoirs publics, on voit partout un patriotisme si décidé, une vigueur d’opinion si nette et si franche, que l’on conçoit bien que le mouvement général imprimé par la nation l’emporte sur les irrégularités des conduites particulières. Dans toutes les rencontres où il s’agit du salut public, l’Angleterre fait face au danger par un