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comme nous organisons un régiment. Dans son système, c’est la loi qui a fait le peuple, au rebours des contrées de l’Europe et du nord, où c’est le peuple dont les mœurs et les traditions ont engendré la loi.

Les lois musulmanes ne furent recueillies et mises en ordre pour la première fois qu’au IIe siècle de l’hégire ; avant cette époque, il n’existait d’autre loi écrite que le Koran ; les décisions, les conseils, les jugemens du prophète, contenus dans ce livre, étaient transmis et commentés par ses compagnons (as’h’âb), ou disciples directs, aux suivans (tâbio’ûn), disciples des disciples directs, qui continuèrent après leurs maîtres la tradition orale, et, dans tous les pays qui tombaient successivement sous les armes de l’islamisme, furent recherchés comme juges consultans, arbitres et interprètes de la loi. Quand ces contemporains de la première génération commencèrent à disparaître, on sentit le besoin de recueillir et de consigner les textes saints dont leur mémoire avait gardé le dépôt. Nombre d’imâms et de juristes publièrent alors des compilations plus ou moins authentiques entre lesquelles, par une singulière conformité de plus avec la religion chrétienne, quatre seulement ont été acceptées comme orthodoxes, parce que les auteurs de ces codes paraissent avoir écrit sous la dictée des as’h’âb et des tâbio’ûn les plus vénérés, et qu’ils sont absolument d’accord sur les dogmes fondamentaux et les articles de foi, bien qu’ils diffèrent parfois sur certains points secondaires du rite et de la législation. Les quatre corps de législation orthodoxes dans les pays musulmans sont : le rite h’anafite, le rite châféïte, le rite mâlékite, et le rite h’anbalite.

Le premier, qui eut pour fondateur l’imàm Abou-H’anifa-No’man-Ibn-Tâbit, surnommé le Grand-Imâm, a été le plus généralement adopté par les khaliphes abbassides, et particulièrement mis en honneur par le célèbre Hâroùn-er-Rachid. Après la chute de l’empire arabe de Baghdad, il est resté en vigueur à la cour ottomane, dans les états asiatiques des princes turcs, en Tartarie et dans l’Inde. La doctrine de l’imâm Chàféï est suivie en Égypte ; celle d’H’anbal n’a plus que quelques adhérens dispersés ; enfin, celle de Mâlek, introduite d’abord en Espagne sous le règne d’El-Hâkem au Ixe siècle de l’ère chrétienne, y remplaça la jurisprudence h’anafite, adoptée jusqu’alors. De Cordoue, elle se propagea en Afrique, où depuis lors elle fait seule autorité dans tout le Mar’reb (pays d’Occident, ainsi appelé par les Arabes par opposition au Gârb, ou pays d’Orient, qui comprend l’Arabie, la Syrie, etc.). Le rite malekite est, on le voit, le plus répandu après celui de H’anifâ, et il régit près de la moitié du monde musulman.

L’imâm Mâlek avait publié son enseignement dans un livre qui fut la base des travaux de sept docteurs principaux, ses disciples, la plupart de Cordoue. Ces travaux servirent de codes jusqu’au VIIIe siècle de l’hégire, époque où Khalîl-Ibn-Ish’âk, célèbre professeur du Kaire et auteur de plusieurs ouvrages très estimés des Orientaux, entreprit la rédaction du Mouktaç’ar ou Précis de Jurisprudence, vaste compendium auquel il travailla pendant vingt-cinq ans ; à sa mort, il n’avait mis au net que le premier tiers de son manuscrit jusqu’au chapitre du Mariage ; le reste fut trouvé dans ses écrits posthumes à l’état de brouillon sur des feuillets détachés que ses élèves transcrivirent religieusement. La mémoire de Sidi-Khalil (le maître Khalil) est restée en grande vénération en Afrique,