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romaine, c’étaient les soldats qui chassaient l’agriculteur du champ qu’il avait labouré et ensemencé.

Haec mea sunt ! veteres migrate coloni.

Aujourd’hui en Algérie c’est le contraire. Le soldat laboure, arrose, ensemence, cultive, et, cela fait, le colon arrive pour moissonner. Et il se plaint du régime militaire ! — Mais, dit-on, pourquoi sont-ce des officiers qui gouvernent les colons ? Pourquoi ces colons n’ont-ils pas leurs magistrats électifs, leurs maires et leurs conseils municipaux ? — Vous demandez pourquoi ils ne se gouvernent pas eux-mêmes ! C’est qu’ils ne le peuvent pas, c’est qu’ils sont incapables de se faire une règle et de la suivre, c’est qu’ôtez-leur l’officier qui les gouverne, ils tombent aussitôt dans l’anarchie, et la colonie dans le néant. Tenez ! vous nous forcez de le dire, il n’y a plus aujourd’hui en France comme en Algérie, il n’y a plus qu’une seule école de gouvernement : c’est l’armée ; il n’y a plus que là qu’on apprenne encore les deux qualités qui font vivre la société, obéir et commander. L’armée est la seule portion de la société qui soit encore un corps régulier, hiérarchique, qui soit encore une vraie société, et c’est pour cela que l’armée a une si grande importance dans le gouvernement. Ce n’est pas parce que l’armée a un sabre et un fusil, ce n’est pas pour cela qu’elle gouvernera ; c’est parce qu’elle a une organisation, une hiérarchie. C’est de là que vient sa force, et partout où la société s’est trouvée vieille et lasse, partout où les liens de l’ordre social se sont détendus et relâchés, à Rome par exemple, sous les empereurs, si l’armée a gouverné, c’est que l’armée avait conservé son organisation, tandis que le reste de la société avait perdu ou vu s’altérer la sienne. L’armée a ce grand avantage dans un état agité par les factions, qu’elle reste un corps pendant que les autres corps s’amollissent et s’effacent. Si cela est vrai de toutes les armées, qu’est-ce de notre armée si intelligente à la fois et si énergique ? Que veut-on dire, en effet, quand on parle du gouvernement du sabre ? Ne dirait-on pas que nos officiers ne sont bons qu’à commander une charge de cavalerie ? Oublie-t-on que, formés dans nos écoles savantes, nos officiers sont des hommes instruits, lettrés, savans, qui savent penser et agir, écrire et faire, qui ont à la fois le discours et l’œuvre, l’action et la parole, perfectionnant l’une par l’autre, empêchant que la parole, toujours séparée de l’action, ne tombe dans la langueur et dans la frivolité ? Et non-seulement nos officiers sont en général des hommes d’un esprit cultivé, ils ont dans leur sein les spécialités les plus diverses. Ceux qui médisent de l’armée et qui veulent en faire la personnification de la force brutale ne réfléchissent pas qu’une armée est une société complète, ayant tous ses instrumens d’action, son administration des vivres, du logement, du vêtement ; ayant ses constructeurs, ses ingénieurs, et dont nous dirions volontiers qu’elle fait aussi la guerre, tant elle fait bien d’abord toute autre chose. Avec une organisation pareille, on comprend ce que l’armée a fait dans un pays où tout était à faire comme en Algérie, dans un pays où il faut avoir la pioche d’une main pour défricher, et le sabre d’une autre pour défendre le sillon qui vient d’être ouvert, dans un pays et devant un peuple comme le peuple arabe, qui n’aime et n’estime que la guerre. Vou-