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tillons d’étoffe, un livre nouveau, ou un plat de supplément pour quelque convive inattendu.

« Alors Paris sera, pour chacun de ses habitans, comme un de ces orgues immenses dont un habile musicien concentre tous les claviers sous ses doigts. Il répondra à tous les désirs, à toutes les fantaisies, à toutes les extravagances. Il se livrera tout entier, sans réserve, et sans les conditions de temps et d’espace qui nous consument aujourd’hui. Or, notre moyen est tellement réel, tellement pratique, qu’il a déjà fonctionné entre nos mains.

Il est impossible que nous laissions nos lecteurs aux bords du grand secret qui doit fonder l’Armanase, sans le leur révéler. Ce moyen réel et pratique est le droit de préemption. « Grace à la préemption, il sera permis, dans le cas qui nous occupe, de fonder une compagnie puissante sur des bases raisonnables pour exécuter cette tâche assyrienne. En effet, avec quelques fonds en caisse et les bases du projet arrêtées… » Vous entendez ? avec quelques fonds en caisse, c’est là le point important : toujours la vieille recette des alchimistes. Voulez-vous que je vous fasse de l’or ? commencez par m’en donner. Et ne riez pas, je vous prie, du droit de préemption ! Il n’est ni plus absurde ni plus impraticable que la proportionnalité des salaires aux besoins, qui a manqué de devenir un des articles de la constitution, et que le droit an travail, qui ressemble de bien près à la proportionnalité des salaires aux besoins.

Nous avons parlé des origines de la révolution de février et des idées qu’elle a enfantées. Cela nous amène naturellement à parler de quelques-uns de ses auteurs qui, réfugiés à Londres et condamnés par contumace, viennent de faire paraître un journal intitulé le Proscrit. Ce journal a été saisi, et nous ne voulons pas rechercher quels sont les délits que la justice y poursuit ; nous voulons seulement en tirer quelques curieux renseignemens sur l’état du parti démagogique et sur ses profondes divisions ; nous voulons voir aussi de quelle manière le parti démagogique réfugié apprécie la victoire légale que le parti conservateur a remportée le 31 mai, dans la loi électorale, et la conduite qu’ont tenue en cette occasion la montagne et la presse socialiste ou démagogique.

Le journal commence par un article à la fois violent et solennel de M. Ledru-Rollin :

« Peuple, ceux qui te guident se trompent ou te trahissent.

« Ils se trompent, en demandant à l’habileté, au calcul, à l’inaction, le succès que tes ennemis n’attendent que de leur témérité.

« Ils te trahissent, s’ils te disent qu’après avoir subi, sans protester, le plus monstrueux des attentats, tu te retrouveras vaillant et tout entier au jour du dernier péril, car il est plus facile de ne point accepter le joug que de le briser.

« L’audace, cette force des révolutions, elle qui t’a toujours fait victorieux, serait-elle passée de ton cœur au cœur de tes ennemis ? »

Une fois sur ce ton d’excommunicateur, M. Ledru-Rollin ne s’arrête plus, et enveloppe dans une réprobation commune la presse démagogique, les derniers élus de Paris et la montagne elle-même tout entière. Le peuple ne doit plus compter que sur lui-même. De qui pourrait-il attendre une direction ?

« De la presse ? Après t’avoir engagé, de loin, à la résistance, elle s’est rabattue sur le refus de l’impôt, puis, sur la transformation de l’impôt, puis… que sais-je ? elle a peur.