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Nous ne parlerons pas beaucoup de la loi sur la presse, du cautionnement préventif, du droit du timbre, ou de l’obligation qu’on veut imposer aux auteurs de signer tous leurs articles, cette obligation qui sera une gêne pour l’administration des journaux sans être un frein pour les rédacteurs. Ce sont des questions techniques qui doivent être traitées à part pour être bien traitées, et d’ailleurs nous savons que ce que le public aime le moins dans un journal, ce sont les pages que le journaliste emploie à défendre la presse. La presse doit savoir quel est son sort dans ce monde. Elle est redoutée, elle est jalousée, elle est cajolée et courtisée ; mais elle n’est point aimée. Il faut qu’elle prenne son parti de cette petite malveillance universelle. Qu’elle se console d’ailleurs d’être suspecte : elle est indispensable ; cela lui vaut toutes les garanties légales et constitutionnelles. Elle fait partie de notre état social, de nos qualités, de nos défauts, de nos vices : comment donc la détruire ? Eh ! ne voyez-vous pas qu’on ne fait tant de lois pour la contenir que parce que nos mœurs la protégent et l’émancipent, et qu’il y a une lutte perpétuelle entre l’hostilité des lois et la tolérance des mœurs ? Nous dirons même, autorisés en cela par une longue expérience, que nous n’avons vu personne détestant la presse, et cela parmi les plus élevés, qui ne fût tenté en même temps d’être journaliste, ou d’écrire dans les journaux. La presse est comme ces pistolets qu’on n’aime pas à voir manier par le prochain de peur que, par maladresse ou par méchanceté, il ne les tire contre nous, mais qu’on aime fort à manier soi-même.

Ne voulant pas traiter ex professo la question de la liberté de la presse, nous nous attachons seulement aux incidens politiques de la discussion. Un mot, à ce titre, sur le discours de M. Victor Hugo, quoique nous voyions avec peine que M. Victor Hugo est en train de prouver à l’assemblée qu’il fait toujours le même discours, comme il avait aussi fini par prouver au public qu’il faisait toujours le même drame. M. Victor Hugo, en effet, a ce grand défaut à la tribune comme au théâtre, qu’il est à la fois extraordinaire et monotone. C’est la pire réunion de mauvaises qualités. Il vise à l’imprévu, au gigantesque, au paradoxe ; mais il y vise toujours de la même manière. Il veut faire des tours de force, mais il fait toujours les mêmes. Or on peut remarquer que tous ceux qui font des tours de force sont tenus, pour réussir, de changer souvent de spectateurs. Il en est de même des nains, des géans, de tous les prodiges ; ils changent souvent de public : ils vont de Paris à Londres, de Londres à New-York, de New-York à San-Francisco. Ils iront à Pékin, afin de renouveler leur public, ne pouvant pas renouveler leur talent.

Mauvais jour pour le grand ou pour le grandiose, quand on sent qu’il est vide ; or, cela commence à se sentir pour M. Hugo. Que veut-il dire en effet avec cette perpétuelle apothéose de l’idée et des idées ? — les idées, dit-il, qui sont immortelles et qui sont incompressibles ! — Oui, les idées sont immortelles, mais à une condition : c’est que ce ne soient pas des phrases. De tous les mérites que M. Victor Hugo attribue à la révolution de février, celui qu’il lui donne le plus libéralement et celui qu’elle a le moins est le mérite d’avoir des idées. Il est vrai que M. Victor Hugo, pour mieux faire accepter sa pensée, prétend que, si la révolution de février a enfanté de grandes idées, elle a en retour enfanté beaucoup de petits hommes. Dans la bouche d’un néophyte du parti du gouvernement provisoire, le mot sent l’enfant terrible. Nous ne contestons pas