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se plier aux phases diverses du phénomène de la production et à celles du fait encore plus compliqué de la distribution de la richesse … Les associations industrielles sont probablement destinées à changer la face du monde, à révéler la toute-puissance du capital, et cependant nos codes ne contiennent guère jusqu’ici sur les associations industrielles que des têtes de chapitre[1]. »


VI. – L’ACTION DES MOEURS EST AUSSI NECESSAIRE QUE CELLE DES LOIS POUR COMBATTRE LA MISERE. – DU SENTIMENT DE LA RESPONSABILITE HUMAINE.

Pour que, dans leur vie réelle, les sociétés fassent un pas décisif dans la voie de la liberté et de la justice, dans cette voie sacrée qui nous mènera hors de la misère, l’action des mœurs est pour le moins aussi nécessaire que celle des lois. Les peuples modernes, tout désireux qu’ils sont de jouir de la liberté et de la justice, restent, dans beaucoup de circonstances, par leurs idées et leurs sentimens, sous le joug de préjugés, de sophismes et de coutumes surannées qui les empêchent d’aller prendre possession de ces biens précieux. Il faut pourtant secouer cette honteuse tutelle, si l’on veut que la société avance, si l’on veut qu’elle soit sauvée, car il faut marcher ou périr. Dans les périodes de renouvellement comme celle où nous sommes, il en est des peuples comme des voyageurs qui traversent les plateaux glacés de la Haute-Asie pendant la mauvaise saison : le stationnement est la mort. Que de sociétés déjà ont succombé par la faute des mœurs plutôt que des lois ! Ce fut ainsi que finit la société romaine, qui auparavant, quand elle avait toute sa valeur morale, avait conquis et dominé l’univers. De là donc pour la société française une tâche où chacun, sans exception, a sa part, car chacun a des efforts à faire au moins sur soi-même.

Quand on cherche parmi nous des exemples de ces causes morales de retardement, on éprouve l’embarras du choix.

Des vanités d’origine aristocratique et féodale ont survécu dans les esprits à nos révolutions démocratiques et égalitaires. Il y en a de plus d’une sorte. Il en est une, par exemple, qui fait consister l’honneur national à exercer l’intimidation sur les autres peuples. Quand la suprématie dans l’état appartenait à une noblesse essentiellement militaire, qui tenait le métier des armes pour le seul qu’un galant homme pût avouer, une politique altière n’avait rien que de naturel. Des hommes qui mettaient leur bonheur et leur gloire à guerroyer devaient rechercher les occasions de guerre ; mais une fois que la prééminence est passée aux classes qui cultivent les arts de la paix, une

  1. Observations sur le droit civil français.