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les objets dont elles ont besoin, on les en a empêchées maintes fois. C’était bien la peine d’ouvrir des canaux à grands frais et de les faire passer sous le nez des populations pour leur interdire ensuite de s’en servir !

Le système des servitudes dans la zone frontière a fait son temps. Même au point de vue militaire, le but désormais serait manqué, l’expérience l’a montré : entre les mains de généraux entreprenans, les armées modernes et leur artillerie franchissent des espaces où les chemins sont des fondrières, des précipices. Après que le Saint-Gothard a été passé par Souwarow, et le Saint-Bernard par le premier consul, que serait-ce que de traverser des contrées relativement aplanies ? Au point où en est la civilisation, le régime actuel des servitudes militaires est un anachronisme. Autrefois, comme on était continuellement exposé au brigandage, chaque ville, chaque bourgade s’entourait de murailles ; aujourd’hui il n’y a plus de fortifiées qu’un petit nombre de places que les autorités de l’art de la guerre, depuis Vauban, le grand constructeur de citadelles, jusqu’au général Rogniat, demandent encore qu’on diminue. La prétention de faire passer toutes les voies de communications sous le feu d’une place forte est donc insoutenable. Autrefois un souverain, pour garantir ses états des incursions des voisins, pouvait très bien ordonner qu’une large zone demeurât sans chemins tout le long des frontières. Les vilains des campagnes n’avaient qu’à se soumettre. S’ils restaient misérables, tant pis pour eux ; ils ne comptaient pas dans l’état. Dans les temps modernes, où les hommes sont devenus plus industrieux, où les vilains du temps jadis ont acquis des droits civiques, et où personne ne veut rester dans la misère, il n’en saurait être de même. On laisse aux barbares la méthode de se protéger contre l’ennemi qui consiste à établir entre l’étranger et soi une sorte de désert artificiel. C’est bon pour les Tartares dans leurs steppes. Pour les nations civilisées, à population dense, comme l’est aujourd’hui l’Europe occidentale, ce serait une calamité. Dans l’intérêt de la défense, au lieu de craindre les communications, les peuples civilisés les multiplient, car c’est ce qui amène à point nommé des renforts, des munitions, des armes, des vivres ; c’est ce qui permet de concentrer les moyens militaires dans un petit nombre de sites bien fortifiés, vastes asiles où se refont les armées elles-mêmes, et d’où l’on expédie rapidement, à volonté, tout ce qu’il faut aux endroits menacés. Ils ont garde de condamner de propos délibéré une partie du pays à la pauvreté par le défaut de communications ; ils savent qu’une nation pauvre a, toutes choses égales d’ailleurs, moins d’élémens de résistance à l’invasion qu’une nation riche. Et les modernes sont la preuve que l’accroissement de la richesse peut s’accorder parfaitement avec