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sanction par la création de la gendarmerie mobile, et elle est entièrement conforme à ce qui a bien réussi aux Anglais en Irlande. On y e levé une force particulière (constabulary force), composée d’hommes qu’on rétribue bien, et qui, avec un effectif de 12 à 13,000 hommes, suffit à assurer la tranquillité de cette île si orageuse[1].

La réforme que nécessite le recrutement de l’armée est une opération de longue haleine, je l’admets. Raison de plus pour la commencer promptement. Les populations en seraient fort reconnaissantes. Un des cris qui furent poussés avec le plus d’ardeur en 1814, quand les Bourbons rentrèrent en France, était : Plus de conscription ! Ces princes y avaient promis une satisfaction qu’ils ne donnèrent pas. Et comment serait-il possible que notre entreprise de régénération sociale dans l’intérêt du grand nombre, commencée en 1789, se terminât en laissant sur les épaules des populations un fardeau dont elles étaient exemptes sous l’ancien régime ?

La servitude que notre régime militaire fait peser sur nous atteint encore le citoyen français par une autre voie que le recrutement. Elle affecte le sol d’une bonne partie de la France, nuit par là à la liberté des citoyens et à la fécondité de leur travail. J’ai en vue ici ce qui est connu sous le nom même de servitudes militaires dans la zone frontière, qui fait le tour de la France et qui occupe un grand nombre de départemens.

Dans l’état actuel des choses, la largeur de la zone est à la discrétion du ministre de la guerre. Il n’a qu’à faire dresser une carte et à l’envoyer aux ministres de la marine et de l’intérieur. Il n’est besoin d’une loi ni d’un décret du chef de l’état. Une simple décision, un ordre verbal du ministre y suffit, état de choses étrange dans un pays qui se dit libre, et où la loi, dit-on, respecte la propriété ! L’administration de la guerre, en 1839, consentit à réduire l’espace voué aux servitudes militaires dans une forte proportion, de moitié environ ; mais la zone reste encore abusivement grande, elle s’étend sur le tiers du territoire[2]. Ce ne fut même pas bien spontanément que l’administration de la guerre se réduisit ainsi. Elle ne le fit qu’après y avoir été contrainte par une proposition formelle qu’en 1836 présenta à la chambre des députés une personne bien compétente, le général Paixhans, et par les réclamations dans le même sens qui avaient été élevées

  1. En 1849, l’effectif du constabulary force de l’Irlande a été de 12,758 hommes et 493 chevaux. La dépense a été de 564,000 liv. sterl. ou 14,250,000 fr. ou d’un peu plus de 1,100 fr. par tête d’homme.
  2. Sur la route du nord, la zone verte (c’est le nom qu’on lui donne ordinairement à cause de la teinte dont elle est marquée sur les cartes de la guerre) commence à Amiens, à 160 kilomètres de Paris ; dans la direction de Strasbourg, vous la trouvez à Fismes, à 128 kilomètres de Paris : ainsi elle occupe les deux tiers de la distance de Paris à Strasbourg. Au sud-ouest, elle commence à Chaumont, à peu près à 230 kilomètres de Paris