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personne assurément n’aurait songé en 1789, dans le premier enthousiasme de la révolution, mais sur lequel l’expérience a ouvert les yeux aujourd’hui à la plupart des gens sensés. La garde nationale avait semblé devoir dispenser des troupes soldées ; il se trouve qu’au contraire elle en nécessite l’augmentation : c’est qu’on avait supposé, et franchement l’erreur était permise, qu’elle serait une garantie d’ordre dans l’état ; les faits sont là pour attester qu’elle agit bien plus comme une machine à révolutions. Cela est si vrai que là où elle est pleinement organisée, au lieu d’avoir à diminuer la garnison, on est forcé de la doubler. Tout le monde se souvient de la déclaration du brave général Gémeau, qui commandait à Lyon, qu’avec la garde nationale il fallait dans sa division 25,000 hommes de plus de troupes que si la milice citoyenne eût été licenciée et désarmée. De même à Paris, le licenciement et le désarmement de la garde nationale permettraient de diminuer la garnison de Paris et les postes avoisinans dans une forte proportion : curieux exemple des mécomptes que quelques-unes des innovations de la révolution devaient faire éprouver aux amis du progrès ! grand avertissement qui montre combien il y a loin des expédiens révolutionnaires aux institutions définitives d’un peuple libre !

À titre de dispositions propres à ménager la transition entre le recrutement actuel et l’enrôlement volontaire, on peut citer plusieurs projets dont quelques-uns se sont produits sous des patronages illustres[1], et ont occupé ou occupent encore les pouvoirs publics. Ils tendraient à diminuer le nombre des hommes appelés au service sans rien ôter de sa force à l’effectif. Ils reposent tous à peu près sur le même fonds d’idées, qu’un soldat robuste et aguerri représente autant de puissance guerrière que plusieurs soldats débiles ou novices ; qu’une armée produite par le recrutement actuel offre beaucoup de non-valeurs qu’une campagne sérieuse multiplierait à l’extrême ; que le remplacement, tel qu’il est organisé, abaisse le niveau de l’armée et coûte beaucoup aux familles, sans offrir au remplacé une garantie suffisante ; enfin, que la somme consacrée par les familles à payer des remplaçans suffirait pour déterminer des réengagemens très nombreux parmi les sous-officiers et les bons soldats, et même pour améliorer sensiblement la condition des troupes. On a encore fait remarquer qu’une augmentation de la gendarmerie permettrait de résoudre le problème d’assurer l’ordre intérieur avec une moindre dépense et un moindre nombre d’hommes[2]. Cette idée-là a même reçu un commencement de

  1. M. le maréchal Bugeaud, M. le général Lamoricière. M, le général Paixhans a touché le même sujet dans son ouvrage de la Constitution militaire de la France.
  2. La proposition de multiplier la gendarmerie, en réduisant la levée annuelle, fut faite il y a quelques années à la chambre des députés par M. Félix de Saint-Priest (du Lot).