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facilement que lui. Nous sommes glorieux de nos lumières, fiers des secrets que nous avons dérobés à la nature. Nous lisons dans les cieux, nous prédisons le mouvement des astres : le soleil suit si bien l’orbite indiquée par notre science, qu’on dirait qu’il est à nos ordres ; mais, quel que soit notre orgueil, voici la preuve cruelle que cette civilisation tant vantée est encore bien imparfaite : nous n’avons pas encore su faire rendre à cette planète, pourtant féconde, en la tourmentant de cent façons par une industrie opiniâtre, la substance d’une existence passable pour la majorité des individus de nos grandes nations.

Tous les élémens des objets si divers dont se compose la richesse des particuliers et celle des sociétés préexistent dans la nature, car l’homme n’a pas la puissance d’ajouter au monde un atome de quoi que ce soit, une seule molécule d’un quelconque des corps simples auxquels le chimiste ramène toute chose. Nous avons beau nous qualifier de créateurs, nous ne créons rien ; nous rapprochons ou nous séparons, nous associons ou nous dispersons, dans un certain ordre et suivant certains modèles ou certaines règles, des particules qui étaient sur la surface de la terre, ou dans l’atmosphère, ou dans les entrailles de la planète, de toute éternité. On l’a dit avec justesse tout ce qu’il est donné à l’homme de produire, c’est du mouvement. Etres débiles et chétifs en comparaison de plusieurs des animaux que la Providence a placés avec nous sur le globe, nos forces physiques seraient insuffisantes à opérer les phénomènes variés de déplacement et de rapprochement qui constituent toutes les opérations de l’industrie, de manière à obtenir un résultat qui fût suffisant pour nos besoins les plus primitifs, si, suppléant à la faiblesse de nos membres par la puissance de notre esprit chercheur et dominateur, nous ne parvenions à ployer à notre usage les forces de la nature, soit celles qui se manifestent spontanément à nos regards comme la force des animaux, l’eau qui se précipite sur une pente, ou les courans de l’atmosphère, soit celles qui, comme la vapeur, par exemple, ont été pendant des siècles comme si elles sommeillaient, jusqu’à ce que le génie de l’homme soit allé en prendre possession et en exciter l’énergie. C’est par les machines ou par des appareils analogues que l’espèce humaine exerce cette domination.

Le problème d’augmenter la richesse de la société revient donc, d’un certain point de vue, à maîtriser de plus en plus, par la puissance de l’esprit humain, les forces de la nature, afin qu’elles travaillent sur le monde matériel à notre place ou avec nous, qui, réduits à nos bras, pourrions si peu. Grace au concours que l’espèce humaine s’assure ainsi, un même nombre d’hommes retire de la terre, par l’agriculture ou par l’industrie minérale, une quantité toujours croissante de matières premières, sur lesquelles nous faisons agir une seconde fois,