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nous offre la même différence. Faut-il croire que Jean Goujon ait étudié la forme virile avec moins de zèle et de persévérance que la forme féminine ? Je ne veux pas m’arrêter à cette conjecture, car si le Printemps et l’Automne de l’hôtel Carnavalet me plaisent moins que l’Hiver et l’Été, je suis obligé d’avouer que le Printemps et l’Automne ne sont pas dessinés moins purement. La seule conclusion légitime à tirer de l’étude comparée de ces figures, c’est que Jean Goujon, par la nature de son génie, par les habitudes de sa pensée, et peut-être aussi par les mouvemens de son cœur, était plutôt porté à l’expression de la grace qu’à l’expression de la force ; et ce que j’ai dit de la vigueur empreinte dans les caryatides de la tribune des Cent-Suisses ne contredit pas la pensée que je viens d’exprimer, car, dans ces caryatides mêmes, la vigueur est tempérée, je dirais presque réglée par la grace.

L’Hiver et l’Été doivent compter parmi les meilleurs ouvrages de Jean Goujon. L’Hiver, sous les traits d’une vieille femme, est si habilement enveloppé dans les plis d’un manteau de laine, le mouvement des bras ramenés sur la poitrine est rendu avec tant de vérité, qu’il est impossible de se méprendre sur la nature et le nom du personnage. Toutes les parties de cette figure sont traitées avec le même soin, avec le même bonheur. Si de l’étude purement linéaire de cette œuvre nous passons à l’analyse de l’impression poétique, cette seconde épreuve confirme victorieusement les conclusions de la première. La pensée, en effet, par la contemplation de cette figure, se trouve transportée au milieu des glaces de la Norwége. Cette vieille frissonne avec tant de vérité, que le frisson nous gagne et engourdit le sang dans nos veines. L’auteur, dans la représentation même de l’Hiver, n’a pas oublié sa prédilection habituelle pour l’élégance et la grace ; les membres inférieurs offrent des lignes heureuses. L’étoffe qui enveloppe le corps est drapée avec largeur, et les plis n’ont rien de capricieux, rien de fortuit.

Quant à l’Été, c’est une des plus charmantes créations de l’art moderne. Visage souriant, chevelure abondante élégamment relevée, souplesse du corps, richesse de la forme, extrémités fines et délicates, tout se trouve réuni dans cette figure. C’est la blonde Cérès qui nous apporte l’abondance et le bonheur. Il n’y a pas dans toute la fontaine des Nymphes un morceau plus gracieux, d’une souplesse plus merveilleuse que l’Été de l’hôtel Carnavalet. Le lin transparent qui couvre ce beau corps le couvre sans le cacher. La largeur des épaules et des hanches exprime très bien le caractère du personnage. Le spectateur comprend tout d’abord qu’il n’a pas devant lui une jeune fille, mais une jeune femme. Les pieds et les mains sont modelés sans effort, et réunissent la force à l’élégance. Le pied posé sur le sol est posé avec fermeté, et le pied levé se détache de la terre par un mouvement puissant. Après