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l’étude des modèles antiques. Cette assertion, en effet, ne tient pas contre l’examen. Les œuvres de Jean Goujon, quelle que soit d’ailleurs la grace, l’élégance qui les recommande, ne relèvent pas de l’antiquité. Il faut n’avoir jamais étudié, jamais regardé les monumens de l’art grec pour voir dans Jean Goujon un disciple de Phidias ou de Lysippe. Une telle méprise, pardonnable chez un bibliographe, serait sans excuse chez un homme habitué à vivre avec les débris du Parthénon. Comment trouver, en effet, la moindre parenté entre les Panathénées et la fontaine des Nymphes ? La Diane du château d’Anet a-t-elle d’aventure quelque chose à démêler avec la Cérès, la Proserpine et les Parques de Phidias ? Les faunes et les satyres de l’escalier de Henri II sont-ils de la même famille que l’Ilissus et le Thésée ? Qui pourrait le dire sans s’exposer au reproche d’ignorance, sans le mériter ?

Le premier maître de Jean Goujon, quel que soit son nom, n’était certainement pas un disciple fervent de l’antiquité. Tout homme familiarisé avec les principaux monumens de l’art antique et de l’art moderne, depuis Périclès jusqu’à Jules II, reconnaîtra sans peine que Jean Goujon, loin d’appartenir à l’école attique, appartient à l’école florentine. Il y a entre ces deux écoles une telle différence de principes qu’elles ne sauraient être confondues. Si Jean Goujon est élève de Phidias, Philibert Delorme est élève d’Ictinus ; la seconde assertion vaut la première, c’est-à-dire qu’aucune des deux ne peut être soutenue. Aussi n’entreprendrai-je pas de démontrer que Jean Goujon ne s’est pas formé par l’étude des modèles antiques. De pareilles questions n’intéressent que les hommes éclairés, et les hommes éclairés n’ont pas besoin de moi pour les résoudre.

Nous ne savons pas si Jean Goujon a visité l’Italie : à cet égard, nous sommes réduits aux conjectures ; mais, pour expliquer son intime relation avec l’école florentine, il n’est pas besoin de lui prêter un voyage en Italie. Jean Goujon est mort huit ans après Michel-Ange, et vingt-cinq ans après François Ier. Or, personne n’ignore que François Ier avait appelé en France un grand nombre d’artistes italiens, peintres, sculpteurs et architectes : il me suffit de nommer le Vinci, André del Sarto, le Rosso, le Primatice. Plusieurs de ces artistes furent chargés d’acquérir pour le compte du roi et de rapporter en France des ouvrages de l’école qui dominait alors la statuaire, c’est-à-dire de l’école florentine. Benvenuto Cellini travailla pour François Ier à Fontainebleau, et son exemple ne fut pas sans autorité sur Jean Goujon. Si j’avais à nommer le parrain du sculpteur français, mon choix ne serait pas douteux, je n’hésiterais pas long-temps ; la chapelle des Medicis à Florence me désignerait clairement le maître et le modèle de Jean Goujon, et je nommerais Michel-Ange. S’il est facile en effet de signaler entre ces deux hommes illustres de nombreuses différences, si le sculpteur français se recommande plutôt par la grace que par l’énergie, tandis