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vaillantise ; mais celui-ci n’a jamais vu double : il nageait comme une brême, et je l’ai vu abattre un taureau par les cornes.

Le cadavre que nous avions sous les yeux était loin d’annoncer une pareille vigueur, et j’en fis l’observation.

— C’est ce que je me disais tout en vous parlant, reprit le coureur de bois étonné ; j’aurais juré que le grand Guillaume était plus membru et mieux en point.

Je lui fis remarquer les jambes grêles du mort, ses mains allongées, ses épaules étroites.

— Faut voir les bras, dit-il en les dégageant de leur dernier vêtement…

Mais il s’arrêta tout à coup, se pencha vivement vers le cadavre, et se récria.

— Qu’y a-t-il ? demandai-je.

— Ce qu’il y a ? reprit Fait-Tout ; regardez-moi là, sur l’avant-bras ; qu’est-ce que vous voyez, dites ?

— Un tatouage.

— Qui représente ?

— Mais… un autel.., une croix… une fleur de lis

— Le grand jeu avec ma marque, à preuve que c’est moi qui l’ai piqué ! Mais, comme avant le Fier-Gas il n’y en avait qu’un autre à l’avoir dans le pays, je dis que ceci n’est pas le corps du grand Guillaume.

— Et de qui donc ?

— De Sauvage le Bien-Nommé.

Il fut interrompu par un cri sourd. Nous nous retournâmes ; la Loubette était à la porte de l’appentis, pâle, la tête droite et une main en avant.

— Arrive ! arrive ! et essuie tes yeux, cria Fait-Tout, ton frère n’est pas trépassé.

— Taisez-vous, sur votre salut ! dit la jeune fille en refermant vivement la porte. Qu’est-ce que vous êtes venu faire ici, et qui vous a permis de toucher au mort !

— Qui ? répliqua Bérard, surpris du ton de la paysanne ; foi de Dieu ! tu n’as qu’à demander à monsieur.

La Loubette me regarda ; je lui expliquai la mission dont j’avais été chargé par le brigadier.

— Au fait, il ne sait encore rien, interrompit Nivôse ; je vas lui annoncer le changement.

Il voulut sortir ; la cabanière lui barra le passage.

— Quel bien ça vous fait-il de le lui dire ? reprit-elle d’une voix. basse et vibrante ; c’est-il donc pour qu’ils recommencent à fouiller