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À ce mot de garnisaires, Blaisot devint encore plus pâle. Ceux qui ont vécu dans les pays où a fleuri ce système odieux de la république et de l’empire peuvent seuls comprendre tout ce qu’un pareil mot renferme. Pour nos paysans, recevoir les garnisaires, c’était subir le sort du pays conquis. Livré à des soudards dont la mission était surtout de se rendre insupportables, il fallait subir à la fois la ruine et l’insulte, car ces loups officiels, en dévorant leur proie, ne manquaient jamais de la railler d’être si maigre. L’idée de se trouver exposé à une telle épreuve épouvanta Blaisot. Aux émotions de sa poltronnerie vinrent se joindre les inquiétudes de son avarice ; il vit ses épargnes englouties et sa cabane au pillage.

— Sainte Vierge ! ne parlez pas de garnisaires, monsieur Durand, s’écria-t-il en joignant les mains ; aussi vrai que j’ai été baptisé, Guillaume n’est pas venu au pays. Ah ! Jésus ! ce n’est pas moi qui voudrais le cacher pour attirer le malheur sur mon pauvre toit. Non, non, mon saint patron est témoin que je ne l’ai point encouragé à faire le conscrit de buissons. Je savais trop bien que j’en souffrirais. Puisque la mauvaise chance lui était tombée, fallait se soumettre ; je le lui ai dit, monsieur Durand, mais vous savez : le Triste-Gas avait le cœur arrêté dans le pays, et, quoique la fille soit maintenant à un autre, il y pense toujours pour sa damnation.

— Voilà justement pourquoi il revient, fit observer Durand ; nos renseignemens sont précis ; hier on l’a reconnu près de Vallembreuse, ainsi il doit être au Petit-Poitou ou dans les environs. Du reste, on va fouiller la case, et quand il serait sous la pierre du foyer, où vous mettiez autrefois vos fusils, faudra qu’on le trouve, mille dieux ! ou j’y perdrai mon nom.

Il allait sans doute donner suite à sa menace, mais nous entendîmes au dehors la voix de la Loubette mêlée à celle des gendarmes ; presque aussitôt l’un d’eux entra, tenant par le bras la jeune fille qui se plaignait très haut.

— C’est-il la loi maintenant, s’écriait-elle, qu’on arrête les gens quand ils rentrent tranquillement chez eux ? Votre uniforme vous rend bien effrontés, mes gens !

— Ah ! ah ! c’est la cabanière, dit le brigadier ; et d’où viens-tu comme cela, ma vieille ?

— D’un endroit où on ne tutoie pas les filles qui ne vous connaissent pas ! répondit-elle avec une hardiesse provoquante.

— Bah ! j’ai donc bien changé depuis mon dernier voyage ? demanda le gendarme.

— Possible, dit la Loubette, je n’ai pas gardé votre signalement.

— Alors tu ne sais pas qui je suis ?