Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/255

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’où tombaient des sangsues. Je lui objectai que cette pêche était un larcin fait à ceux qui avaient posé les fascines ; mais il haussa les épaules en riant.

— Bah ! bah ! dit-il, le renard dont on prend la peau ne fait que vous rendre le prix de vos poules ! Ce qu’on vole à un huttier est toujours une restitution. Quand je courais les booths avec une balle de mercier, leurs femmes m’ont gouriné (volé) assez de lacets ferrés et de cents d’épingles ; ils ont beau faire le signe de la croix, voyez-vous, ce sont de vrais catholiques de Mouchamp[1].

Jusqu’alors, nous n’avions fait qu’apercevoir en passant les cases de roseaux. J’étais singulièrement curieux de les voir à l’intérieur, et je fis aborder la barque près d’une hutte dont la construction, à en croire l’apparence, devait remonter au commencement du siècle. Le limon dont on s’était servi pour mastiquer les fascines du toit avait fini par le transformer en une sorte de terrasse verdoyante. La joubarbe y fleurissait, et un jeune saule épanouissait vers la cime ses pousses argentées. La porte était une brèche de forme irrégulière, haute seulement de quatre pieds. Au milieu de la hutte se dressaient deux poteaux réunis par une traverse : c’était le foyer. La fumée, privée d’issue avait tout recouvert d’une sorte de vitrification noire et brillante. Au fond de la case, trois vaches ruminaient, couchées sur une litière de pavas, et devant leur ratelier pendait une branche de coux-laurier destinée à les préserver des dartres[2].

Tout l’ameublement se bornait à quelques vases de terre grossière, à un escabeau et à une claie recouverte d’un matelas de mousse. Sur ce lit était étendue une femme malade de la fièvre de consomption que donne, l’atmosphère des marais. Elle était seule et grelottait sous une couverture verte. L’une des vaches avançait par instans la tête, fixait un grand œil vague sur le pâle visage de la malade et l’enveloppait de la vapeur de sa puissante haleine. Fait-Tout s’approcha du lit.

— Eh bien ! maraîchaine, dit-il, la maladie nous a donc fauché les jambes ? Nous ne pouvons plus aller tréquegner[3] sur les mottées, et le pauvre homme doit peiner pour deux ?

La malade rouvrit les yeux, nous regarda l’un après l’autre, mais ne répondit pas.

  1. Catholiques de Mouchamp, c’est-à-dire protestans, parce que c’est à Mouchamp que l’on trouve le plus grand nombre de calvinistes ; cette désignation est injurieuse.
  2. Cette superstition existe dans toute la Vendée : le coux laurier est l’ilex aquifolium.
  3. Tréquegner, c’est le nom que l’on donne à l’action des femmes qui vont trépigner sur la terre grasse des prairies pour faire sortir les achées qui servent d’appât pour la pêche de leurs maris.