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Vous-mêmes, où seriez-vous, vous qui parlez, vous qui reprochez au gouvernement que vous avez combattu d’avoir disparu devant l’émeute que vous avez soulevée, si ce gouvernement avait employé les armes dont se servent en pareil cas les gouvernemens qui se défendent ? Vous seriez proscrits, exilés, car vous aviez engagé le fer à un point qui ne permettait plus de reculer, et il fallait de toute nécessité que l’un des deux combattans restât sur la place. Laissez donc exprimer à d’autres ce grief, qui peut être trop aisément retourné contre vous ; se plaindre aujourd’hui d’avoir réussi trop vite et trop aisément, c’est une de ces comédies de l’histoire qui accompagnent quelquefois les grandes tragédies.

Mais je vais plus loin, et je me demande si ce gouvernement devait et pouvait se défendre davantage. Je n’hésite pas à dire non, bien que je doive heurter ici une opinion généralement répandue. D’abord je pose en fait que la défense n’a pas toujours été possible, non certes que l’émeute eût par elle-même la moindre force, les évaluations qui portent au plus bas le nombre des combattans sont encore, à mon avis, au-dessus de la vérité : ce n’est pas une armée, ce n’est pas même un régiment, c’est un bataillon qui aurait suffi pour disperser les faibles groupes des assaillans proprement dits ; mais, si l’émeute matérielle était misérable, l’émeute morale était énorme. N’ayons pas d’illusion rétrospective, et acceptons la vérité comme elle est : dès le premier moment, il a été manifeste pour tous que le gouvernement était abandonné par l’opinion publique, surtout à Paris. La révolution a été faite du jour où une partie de la garde nationale est venue impunément porter à la chambre des députés des pétitions pour la réforme : cette démonstration révolutionnaire a été la véritable émeute ; c’est celle-là qu’il aurait fallu réprimer tout d’abord. Le pouvait-on ? Matériellement, oui ; moralement, non. C’est cette puissance de l’opinion, irrésistible même quand elle s’égare, qui a retenu les épées dans le fourreau et les balles, dans les gibernes. On dit que l’opinion ne voulait pas la chute du gouvernement ; c’est possible, mais elle lui ôtait les moyens de se défendre, ce qui revient au même.

La question militaire n’est rien en pareil cas. Le plus grand homme de guerre que la France ait produit depuis Napoléon, le maréchal Bugeaud, était à Paris en février ; il a été mis un moment à la tête des troupes, qui le connaissaient, qui l’aimaient ; il ne manquait certes, ni d’attachement à l’ordre établi, ni de résolution, et son épée s’est brisée entre ses mains. Ceux qui ont pris part depuis aux affaires publiques sont fiers et avec raison de la répression vigoureuse de juin 1848 et de juin 1849 ; mais la situation était bien différente : ce n’était pas la première fois qu’on tirait le canon dans les rues de Paris ; le gouvernement royal, en juin 1832, avait montré absolument la même